À Montréal, cette semaine seulement, la tournée nord-américaine de la comédie musicale «Les Misérables» apporte un vent de modernité et de fraîcheur à ce qui est considéré comme l’un des grands classiques de la comédie musicale, gagnant de plusieurs Tony en 1987 et 2014. Plus théâtrale et grandiose, cette nouvelle production est à voir pour ceux qui connaissent bien, car plein de petits détails nouveaux rehaussent le spectacle.
Adieu le plateau tournant qui a fait sa marque il y a 35 ans quand «Les Misérables» a débuté. Place a de magnifiques décors et projections dynamiques, tous aussi impressionnants que modulaires pour une fluidité dans les transitions. La scène des égouts de Paris est remarquable. Seul bémol, les éclairages sont souvent trop sombres pour apprécier pleinement les scènes et les expressions des visages.
En prime, la distribution est de très haut calibre vocalement. L’oreille aguerrie de musicien que je suis fut comblée hier soir lors de la Première montréalaise. Que ce soit des interprètes principaux ou du plus petit rôle secondaire, aucune fausse note dans les 3 heures de spectacle! Et des envolées vocales grandioses ont charmé le public déjà conquis aux airs bien connus de ce chef-d’oeuvre.
L’histoire est toujours la même, celle du forcené Valjean en libération conditionnelle, qui jouera au chat et à la souris avec l’inspecteur Javert toute sa vie. Au passage, il extirpe la jeune Cosette des griffes du couple Thénardier. Une prémisse semblable à l’inverse de l’autre classique des comédies musicales, «Wicked»: est-ce que quelqu’un est méchant de naissance ou le devient. Dans ce cas, c’est Valjean qui fera le bien même s’il est poursuivi par Javert qui le pense méchant.
Nick Cartell en Valjean brille par sa voix riche et son jeu évolutif qui fait vieillir son personnage. Il devient touchant à la fin par sa sensibilité dans le dernier numéro. Sa chanson «Who Am I» est excellente, tout comme son falsetto (voix haute d’homme) dans «Bring Him Home» qui lui ont valu des applaudissements nourris. Par contre, il a un léger accent parfois difficile à comprendre.
Javert joué par Preston Truman Boyd offre une superbe performance vocale et scénique aussi. «Stars» a été très apprécié du public. Mais ce que j’ai préféré c’est sa scène du suicide avec sa chanson «Javert’s Soliloquy»: quel merveilleux jeu d’acteur.
Matt Crowle et Victoria Huston-Elem forment un couple Thénardier désopilant. Ils jouent gros et ça fonctionne à tout coup. Ça permet d’alléger le sujet qui est souvent tragique. Pour ceux qui connaissent bien leurs numéros, attendez-vous à quelques surprises dans «Master of the House», avec une mise en scène bonifiée de beaux moments.
Haley Dortch (Fantine) chante «I Dreamed a Dream» d’une voix puissante tout en nuance avec un fort vibrato. Sa fille Cosette-adulte est interprétée par Delaney Guyer, une soprano au timbre légèrement nasillard, mais de merveilleux aigus cristallins quand elle monte.
«Empty Chairs at Empty Tables» chanté par Jake David Smith (Marius) d’une voix puissante naturelle avec de belles basses m’a donné des frissons. Son compagnon d’armes Enjolras, joué par le séduisant Devin Archer, n’est pas en reste avec sa voix énergique surprenante dans les aigus dans son «Red and Black».
Mon coup de coeur va à Mya Rena Hunter dans le rôle d’Éponine. Surprenante, sa voix ressemble beaucoup à celle qui a créé le rôle à Broadway (Frances Ruffelle). Inattendue aussi parce qu’elle ne ressemble pas vraiment à la petite fille quand elle a 8 ans; vous comprendrez en la voyant. Ses deux chansons «On my Own» et «A Little Fall of Rain» nous donnent des frissons tellement elle est émouvante, ce qui lui a valu des applaudissements mérités.
Un deuxième coup de coeur pour les enfants qui jouent la petite Cosette, Éponine et l’espiègle Gavroche. Ils sont tellement mignons et jeunes, qu’on ne peut qu’être émerveillés devant l’authenticité de leur jeu et leurs belles voix d’enfants justes. Gavroche (Leo Caravano) est vraiment accrocheur et émouvant.
La mise en scène de cette production apporte du nouveau pour ceux qui connaissait bien «Les Misérables». Par exemple, «A heart full of love» devient une scène de balcon mémorable. Quand la barricade apparaît, un temps de réflexion permet d’admirer l’oeuvre avant l’arrivée des acteurs. Par contre, on aurait aimé voir les années où l’action se passe, comme ça se faisait durant les premières mises en scène. Sans point de référence, il a été difficile de s’apercevoir qu’on avait sauté une dizaine d’années en quelques secondes.
Il faut souligner la beauté des costumes. Un total impressionnant de 1200 costumes, dont 8 robes de mariée qui ont utilisé 15 mètres de tissu et 50 heures de confection chacune. Sans oublier les 88 perruques qui complètent l’illusion.
La sonorisation est particulière. Avec 14 musiciens, la musique de type symphonique est bien imposante comme elle se doit. Mais pour les chanteurs, au lieu de mettre les haut-parleurs de chaque côté de la scène comme à l’habitude, une sonorisation naturelle est préférée. Les 148 haut-parleurs (c’est beaucoup) sont placés pour agir comme si la voix provenait du chanteur qui est mis en valeur.
Si vous ne connaissez pas l’histoire de l’oeuvre de Victor Hugo, il serait bon que quelqu’un vous en fasse un résumé. Tout se passe tellement vite avec plein d’informations dans chaque chanson qu’il est facile de perdre le fil. Le spectacle est entièrement chanté.
«Les Misérables» est une grande comédie musicale qui a marqué les générations (130 millions de spectateurs) à voir une fois dans sa vie au moins. Plusieurs voudront revoir cette production qui apportent du nouveau tant par la quantité de talents au pied carré que par une mise en scène moderne et spectaculaire. Malgré quelques très petits bémols, je recommande de voir ou revoir «Les Misérables» pour toutes ces raisons.
Les bons coups: Chanteurs de grands talents, mise en scène, acting, décors, costumes, orchestre
Les moins bons coups: Éclairages sombres, histoire complexe si on ne la connaît pas
Équipe de création
Production: Cameron MacKintosh
Présenté par: Broadway Across Canada et Evenko
Livret: Alain Boublil
Livret/Musique: Claude-Michel Schönberg
Paroles: Herbert Kretzmer
Direction: James Powell, Laurence Connor
Décors: Matt Kinley
Éclairages: Paule Constable
Sonorisation: Mick Potter
Costumes: Andreane Neofitou, Christine Rowland, Paul Wills
Maquillages/Perruques: Stefan Musch
Distribution
Nick Cartell (Valjean), Preston Truman Boyd (Javert), Matt Crowle (Thénardier), Victoria Huston-Elem (Madame Thénardier), Haley Dortch (Fantine), Devin Archer (Enjolras), Mya Rena Hunter (Éponine), Jake David Smith (Marius), Delaney Guyer (Cosette), Azalea Wolfe, Ava Buesing, Leo Caravano, Milo Maharlika, Kyle Adams, David Andino, Daniel Gerard Bittner, Jenna Burns, Julie Cardia, Ben Cherington, Steve Czarnecki, Arianne DiCerbo, Genevieve Ellis, David Young Fernandez, Emily Fink, Randy Jeter, Andrew Love, Danny Martin, Mikako Martin, Eden Mau, Andrew Marks Maughan, Paige McNamara, Ashley Dawn Mortensen, Tim Quartier, Juliette Redden, Matt Rosell, Christopher Robin Sapp, Greta Schaefer, Kaitlyn Sumner, Christopher James Tamayo, Kyle Timson, David T. Walker et J.T. Wood.
Salle Wilfrid-Pelletier (Place des Arts, 175 rue Ste-Catherine Ouest, Montréal)
Présenté en anglais du 30 juillet au 4 août 2024 à 20h.
Billets en vente (65$-199$) au https://placedesarts.com/fr/evenement/les-miserables
Vidéo: https://www.youtube.com/watch?v=WHKd7moCcBw
Durée: 3 heures avec entracte
Photos: Matthew Murphy et Evan Zimmerman for MurphyMade