Après Maître chez soi, en deux tomes, où nous avions suivi l’arrivée de la famille Chevalier à Verdun, voici la trilogie La famille Chevalier, qui est la suite des péripéties de cette famille, toujours dans les années 60. Cette nouvelle saga historique familiale de Jean-Pierre Charland débute à la fin de l’année 1965 juste avant les vacances des Fêtes. En suivant le parcours des deux adolescents Antoine et Marie-Paule, nous suivons également l’émancipation d’un peuple, les conflits politiques et les grèves qui font rage un peu partout. Bref, ce roman met de l’avant les mœurs changeantes de 1966. Les 2e et 3e tomes sont prévus pour l’été et l’automne 2024.
Résumé : 1966. Aux yeux de Viviane, rien ne va plus avec ses deux enfants. Marie-Paule, encore une fille modèle il y a peu, incarne désormais les pires travers de la « jeunesse d’aujourd’hui » : elle porte des jupes courtes, sort dans des lieux peu recommandables et, surtout, fréquente un garçon ! Quant à Antoine, son chouchou, il s’est entiché d’une fille de la haute bourgeoisie. Pire encore, elle est aussi grande que lui ! Pour couronner le tout, son frère Anselme — qui a défroqué — vit dans le péché avec Irène et leur enfant de deux ans. Mais, quelle que soit la puissance des tempêtes maternelles, les jeunes Chevalier, jouissant du soutien indéfectible de leur père, envisagent l’avenir avec confiance. Marie-Paule entame sa carrière d’enseignante à l’école où elle a fait son secondaire et Antoine sera bientôt notaire. Incapable de composer avec le bonheur des siens, malade de jalousie, Viviane décide de poser un geste susceptible de la replacer au centre de l’attention familiale.
Avec la fin de l’emprise religieuse, on voit des prêtres qui défroquent et des sœurs enseignantes se convertir en professeur laïc. Dans l’attente d’avoir une loi pour encadrer le divorce, les gens se séparent ou s’accotent, dans l’espoir d’un amour meilleur. En politique, les bombes du FLQ font des ravages et les discussions et les opinions sont très partagées un peu partout avec la multitude des partis politiques. Les grèves pour de meilleures conditions de travail font aussi beaucoup jaser, et on parle d’une réforme scolaire qui viendra créer les premiers Cégeps alors qu’on est en plein chantier pour la construction des infrastructures de l’EXPO 67.
À travers tous ces changements en société, ce sont les tribulations d’Antoine et Marie-Paule qui retiennent notre attention. Les études, le travail et surtout les amours de chacun sont mis de l’avant. À cette époque où les femmes prennent leur libido et leur carrière en main, il est intéressant de suivre les émois amoureux de ces deux jeunes gens, au grand découragement de leur mère qui est demeurée ancrée dans une autre époque et souhaite le retour aux sources. De son côté, Romain, le père, n’en peut plus de se faire un nœud dedans, comme il le dit. Aux grands maux les grands moyens. Mais un geste désespéré vient semer un grand questionnement dans le dénouement de ce premier tome, afin de nous donner encore plus le goût de lire la suite, à l’été qui vient.
Ce que j’ai préféré dans ce roman, c’est la toujours grande complicité entre Marie-Paule et Antoine, qui perdure depuis Maître chez soi. Personnellement, cela me fait penser à mes deux enfants qui s’entraident avec beaucoup de respect. J’adore également le personnage de Marie-Paule, qui prend sa vie amoureuse en main et prend les devants avec son premier partenaire amoureux. Je savoure aussi sa grande répartie, lorsqu’elle répond à la langue de vipère de sa mère. Voici un extrait :
Viviane : – Tu ne vas pas sortir habillée comme ça ? (Minijupe)
Marie-Paule : – Cet après-midi, j’ai demandé à Blandine de me prêter son vieux costume de nonne, mais elle ne l’a pas gardé…
Un autre extrait :
Viviane : – Maintenant que tu vas commencer à recevoir des gages raisonnables, tu vas nous laisser tomber ?
Marie-Paule : – C’est quoi le rapport ? Tu pensais avoir ta part ? Je me souviens très bien qu’au moment où nous avons emménagé ici, tu voulais me voir devenir domestique dans une maison privée. Je ne pense pas que tu as eu un grand rôle à jouer dans mes études.
-Tes études, tu les as faites parce qu’on t’a logée et nourrie.
-Tu sais qu’en français, «on» exclut la personne qui parle ? Alors oui, tu as parfaitement raison. Papa m’a logée, il m’a nourrie. Pas toi. Et il l’a fait pour me permettre d’avoir une meilleure vie que la sienne, pas pour venir me réclamer sa part ensuite.»
Ce que j’aime moins, ce sont toutes ces discussions sur la politique, car c’est un sujet qui ne m’a jamais vraiment intéressée. Par contre, j’ai aimé suivre une journée d’élection en 1966. C’est intéressant de voir à quel point, tout était différent, mais aussi complètement pareil à aujourd’hui à plusieurs niveaux. Aussi, c’est avec un angle différent que l’on suit les péripéties du FLQ qui mèneront à la crise d’octobre 70.
Le premier tome se termine à la fin de l’année 1966, avec un geste terrible qui nous fait nous questionner sur la suite que prendront les événements. Comme toujours, Jean-Pierre Charland sait si bien nous imager la vie des gens fictifs d’une autre époque, en nous intégrant les moments marquants de la réalité de ces années-là. On a vraiment l’impression de revivre les années 60 avec ce roman et on a juste hâte de lire la suite.
Né en 1954, Jean-Pierre Charland a connu une prestigieuse carrière universitaire jusqu’à sa retraite, en 2014. Une dizaine d’années plus tôt, il s’était mis à publier, au rythme de deux ouvrages par an, des romans historiques ayant pour cadre le Canada français des 19e et 20e siècles. Son cycle des Portes de Québec (15 tomes de 2007 à 2019) demeure la fresque historique la plus imposante jamais publiée au Québec et a fait de l’auteur une référence dans le domaine. Écrivain prolifique et bien-aimé du public, il n’hésite pas à se renouveler en proposant une série policière d’époque avec le personnage d’Eugène Dolan ou en évoquant la vie d’une figure aussi controversée que celle d’Eva Braun. Auteur incontournable du genre, il continue à multiplier chez Hurtubise les séries à succès, parmi lesquelles Félicité, Sur les berges du Richelieu ou encore Odile et Xavier. Sa dernière nouvelle grande série a pour titre La Pension Caron et propose une passionnante incursion dans le Québec des années 1930. À ce jour, ses romans se sont écoulés à près de 900 000 exemplaires au Québec et en France.
En 2021, Jean-Pierre Charland sort des sentiers battus et fait une incursion dans le roman post-apocalyptique avec Après, et explore le voyage temporel avec la série Passe-temps en 2022. Sa nouvelle saga, Maître chez soi, suit le destin de la famille Chevalier dans les années 60.
Date de parution : 11 avril 2024
Prix : 26.95$
Nombre de pages : 376 pages
Éditions Hurtubise : https://editionshurtubise.com/
Mon appréciation de ses livres précédents :
Enquêtes d’Eugène Dolan, L’oeuvre de chair ne désireras https://lesartsze.com/loeuvre-de-chair-ne-desireras-un-roman-historique-a-saveur-policiere-intrigant-et-divertissant/
Maitre chez soi Tome 1 : https://lesartsze.com/maitre-chez-soi-tome-1-le-deracinement-un-portrait-realiste-des-annees-60-divertissant-et-emouvant/
Maitre chez soi Tome 2 : https://lesartsze.com/maitre-chez-soi-tome-2-la-vie-a-verdun-entre-romance-et-politique-une-conclusion-satisfaisante/