La pièce de Shakespeare suscitait autrefois un grand débat sur l’imputation de violence ethnique associée au caractère des Maures et la distribution brillamment imaginée au TNM met, cette fois-ci, en absolue veilleuse cette polémique avec l’éblouissante performance scénique dans la peau macabre d’Iago joué ou incarné par le désormais inoubliable Lyndz Dantiste. Le rôle d’Othello quant à lui si difficile à jouer sur la juste corde sensible est tenu par Rodley Pitt qui se tire assez bien d’affaire compte tenu qu’il se trouve entouré des radieux Thomas Boudreault-Côté dans le rôle de Roderigo et Steven Lee Potvin jouant Cassio.

Le moment le plus pénible pour les auditeurs d’aujourd’hui voulant feindre d’être des roseaux pensants (cette célèbre pensée de Pascal… ) survient au moment scénique du meurtre de l’appétissante et fidèle ou irréprochable Desdemona (jouée avec coquetterie par Ariane Bellavance-Fafard).

Le théâtre classique français au nom de la bienséance cachait ces scènes bouleversantes de violence sanguinaire perçue comme condamnable, mais les Anglais n’ont certainement jamais eu peur du sang, eux, tant sur scène que dans le monde des gouvernances politiques quand elles leur déplaisent…

Les féminicides sont désormais idées insupportables

En ces circonstances de l’affabulation, il faut bien avancer et clore la pièce: l’intrigue est telle qu’elle choque, mais le jeu de cette distribution est irréprochable. Je mentionnerais cependant la diction trop peu claire ou encombrée de Jean-Marc Dalpé qui s’est avéré le seul de cette distribution dont on n’entend pas de manière limpide les premières paroles à l’exposition des faits, bien paternalistes, de la pièce aux comportements datés.

Le public d’aujourd’hui, jeune et ouvert, peu soucieux des questions d’honneur, honte et surtout d’adultère, encore moins de pudeur, peut encore comprendre jusqu’à certaines limites les moyens de la vengeance amoureuse.

Heureusement, les schèmes de la conquête de pouvoir d’Iago sont parfaitement audibles ceux-là, ancrés dans le quotidien des jeux politiques et c’est en définitive le sujet triomphal de la pièce remplie ici du chant merveilleux d’une voix (dont je ne sais s’il s’agit véritablement de celle, somptueuse, de Valérie Le Maire dans le rôle de la Duchesse —  mais quelle beauté vocale!) et de ces chorégraphies de danseurs et danseuses!

Le public a dévoré des yeux ces numéros de marche sur des fils ténus, chaque fois le vide menaçant le premier faux-pas au sein d’une pièce qui défonce les conceptions qu’on puisse avoir de la faute d’hubris ou de mesure.

À voir et revoir donc, mais moi je me fermerai les yeux la seconde fois, au moment du meurtre de Desdemona: quand on a vu, subi, enduré, hurlé au quotidien cette démente violence conjugale ou paternelle, on ne songe qu’à sortir de la pièce où elle se déploie… évidemment, si, en spectateur obligé, on n’a pas pouvoir d’y mettre fin en changeant l’Histoire (avec un petit h ou un grand H, même impuissance).

Comédiens
Ariane Bellavance-Fafard (Desdemona). Thomas Boudreault-Côté (Roderigo). Jean Marc Dalpé (Brabantio, Gratiano). Lyndz Dantiste (Iago). Norman Helms(Montano). Eric LeBlanc(Lodovico). Valérie LeMaire (La Duchesse). Myriam Lenfesty (Emilia). Mélissa Merlo(Bianca). Rodley Pitt (Othello). Steven Lee Potvin (Cassio).

Artistes de cirque: Emily Chilvers, Guillaume Fontaine, Ken Nguyen, Daniel Stefek.

Assistance à la mise en scène et régie
Pascale D’Haese
Décor
Amélie Trépanier
Costumes
Jacinthe Perrault
Éclairages
Jean-François Labbé
Musique et environnement sonore
Alain Lucien
Accessoires
Pierrick Fréchette
Maquillages
Élène Pearson
Réalisation des coiffures
Josée Brisson
Chorégraphies – Conseillers artistiques circassiens
Arthur Morel Van Hyfte
Brin Schoellkopf
Chorégraphies combat
Nicolas Couture
Conseiller en combat
Sébastien Rouleau

Photos : Stéphane Bourgeois