Après deux ans d’attente, l’Opéra de Montréal présentait, samedi soir, La beauté du monde de Julien Bilodeau et Michel Marc Bouchard. Cette histoire basée sur des faits historiques nous entraîne à Paris, durant le Seconde Guerre mondiale; les nazis s’apprêtent à piller le Louvre et mettre en péril des oeuvres qui fascinent l’humanité depuis des siècles, dont La Joconde de Léonard de Vinci. Quelques personnes courageuses vont risquer leur vie pour changer le cours du destin. Plusieurs parties de l’oeuvre sont d’ailleurs chantées en choeur. La musique illustre cette tragédie racontée à travers de nombreux rebondissements et des moments de questionnements qui rejoignent notre actualité.
Pour ne pas perdre la mémoire
La première scène de La beauté du monde est saisissante ! Un choeur de femmes assises évoque un célèbre tableau de Matisse. On comprendra bientôt la valeur particulière de cette oeuvre, aux yeux de Jacques Jaujard, directeur du Louvre, qui voit à l’évacuation secrète des collections du musée, aidé par des emballeuses de grands magasins.
Ce passionné d’art a aussi accepté de participer à la protection de collections des familles juives et il a fait la promesse à Alexandre Rosenberg, de protéger Femme assise, le tableau légué par son père. Même s’il risque la mort, Rosenberg s’accroche à la possibilité de retrouver ce tableau qui sera son seul souvenir, s’il survit à la guerre. Grâce au talent du librettiste, la grande histoire rejoint ainsi celle d’un simple citoyen auquel le spectateur peut s’identifier. En effet, qui n’a pas besoin de préserver coûte que coûte certains objets qui témoignent de son parcours ?
Les dégénérés
À l’acte deux, Rose Valland, surintendante du musée du Jeu de Paume, collige en secret les oeuvres arrachées aux familles juives dont certaines partent pour l’Allemagne, alors que d’autres sont considérées comme dégénérées et destinées à être détruites. Hermann Göring, bras droit d’Hitler, fait même un parallèle entre les peintres contemporains et les psychiatrisés. L’homme s’amuse d’ailleurs aux dépens du jeune fils démuni d’Esther, l’assistante de Jaujard.
Fier de souligner que, dans son pays, on élimine les êtres déficients, l’Allemand appliquera cette impitoyable règle au fils de la pauvre Esther. Cette scène brise le coeur ! Ici encore, Bouchard ramène le drame de la guerre au niveau humain, ce qui ajoute beaucoup à l’histoire riche et nécessaire de La beauté du monde.
La libération
Changement d’ambiance au troisième acte où le décor et la musique nous entraînent dans un cabaret parisien. Jeanne Boitel, comédienne et muse de la Résistance, a donné rendez-vous à Jaujard et Valland. Il faut de toute urgence empêcher un train chargé des collections juives de quitter pour l’Allemagne. Une fois cette mission accomplie, tous s’unissent pour un chant célébrant la conservation du patrimoine artistique mondial et la sauvegarde de la beauté du monde. Mais, qu’est-il advenu de Femme Assise, le tableau que Jaujard avait promis de protéger ?
Au-delà des mots
Ces péripéties sont aussi racontées à travers les rythmes, ambiances et couleurs de Julien Bilodeau. Le compositeur lui-même estime que sa musique est «dans la lignée de Britten, avec une touche française, notamment dans l’orchestration des bois.» Plusieurs des meilleurs moments du spectacle sont chantés par un choeur placé dans la fosse et traité comme une section de l’orchestre.
En général, le mariage des mots et de la musique semble couler de source. L’histoire est racontée clairement. Il y a toutefois quelques facilités qui agacent comme «Fureur contre le Führer».
Il n’en reste pas moins que Bilodeau et Bouchard ont su unir leurs forces d’admirable façon. Pas étonnant qu’ils travaillent déjà à une nouvelle création : La Reine-Garçon, un opus lyrique commandé conjointement par la Canadian Opera Company et l’Opéra de Montréal.
La mise en scène de Florent Siaud est efficace, mis à part quelques lacunes. Entre autres, au troisième acte, il y a un passage orchestral où il n’y a qu’un jeu d’éclairage sur scène. Ça donne l’impression d’un temps mort.
Interprétation
Le baryton-basse australien Damien Pass est crédible en Jaujard, directeur du Louvre et personnage principal de l’opéra. L’homme a une voix souple et puissante, en plus d’être un bon comédien. Cependant, on ne sait pratiquement rien de ce héros, à part sa passion pour l’art, ce qui en fait un personnage plutôt distant.
De son côté, la mezzo-soprano canadienne Allyson McHardy fait revivre la conservatrice de musée Rose Valland. On remarque, une fois de plus, la forte présence scénique de cette chanteuse qu’on a vu, notamment, dans Dead Man Walking, à l’Opéra de Montréal
De son côté, la soprano Québécoise France Bellemare incarne l’assistante de Jaujard. En quelques scènes, elle parvient à exprimer son désarroi devant la fragilité de son fils handicapé intellectuel. Ce dernier est joué par Émile Schneider, un acteur surtout connu pour sa prestation dans le film Là où Attila passe… La chanteuse et le comédien sont impeccables.
Quant à la soprano canadienne Layla Claire, elle se glisse avec élégance dans la peau de la comédienne française Jeanne Boitel qui s’est distinguée durant la résistance face aux envahisseurs allemands.
Enfin, le ténor canadien Rocco Rupolo se démarque dans son rôle d’Alexandre Rosenberg qui contribue à humaniser cette histoire en trois actes qui dure près de trois heures incluant deux entractes.
En plus de ses qualités esthétiques, ce spectacle dépasse largement la sphère du divertissement et touche à l’essentiel : que serions-nous sans l’art et la beauté ?
La beauté du monde
Musique : Julien Bilodeau / Livret : Michel Marc Bouchard
Mise en scène : Florent Siaud
Orchestre Métropolitain / Jean-Marie Zeitouni (dir.)
À la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts : les 22 et 24 novembre à 19 h 30, et le 27 novembre à 14 h.
En français et en allemand, avec surtitres français et anglais.
Durée : près de trois heures incluant deux entractes
Crédit photos : Vivien Gaumand