À part deux œuvres du compositeur estonien de 89 ans, Arvo Pärt (né en 1935), tout le programme du récital vocal des Tallis Scholars à la Salle Bourgie portait les stigmates polyphoniques du Moyen-Âge et de la Renaissance ou de ses échos jusqu’à Praetorius (1560-1629) y compris le radieux Tomás Luis de Victoria (1548-1611).
À l’heure de ce dimanche après-midi glacial du 14 décembre, la salle est archi pleine: un public qu’on n’aperçoit que dans ces concerts de musique ancienne et je fais partie des plus jeunes, pour une fois! On chante ce répertoire en latin, une langue dont je n’ai reçu par élection casuistique que quelques bribes: cette musique s’élève au Ciel de l’Église au travers des vitraux Tiffany via dix magnifiques voix dont six de femmes (quatre soprani, deux contraltos) et quatre voix d’hommes (deux ténors, deux basses) menées par le chef Peter Phillips.
Au pays de Bénédictins
Si c’est à l’Abbaye de Solesmes – que je croisais chaque semaine en mes déplacements à la Faculté de Lettres de Rennes en Bretagne, qui a bel et bien ressuscité fin du 19ième siècle l’engouement pour le chant grégorien nous n’y sommes pas ici tout à fait. Nous faisons certes affaire avec l’antérieure sonorité à la musique polyphonique de l’Ars Nova mais nous parvenons comme première compositrice au programme, et par trois œuvres, à la spiritualité de la grande Prieure et moniale Hildegarde de Bingen (1098-1179). Après Jacob Obrecht (1458-1505) nous touchons à un madrigal spirituel de Roland de Lassus (1552-1594), du célèbre pays des Flandres.
Voyages en notre intériorité
Au fil du programme, pas moins de quatre Salve Regina: un anonyme, un d’Obrecht, un de De Victoria et un du compositeur guatémaltèque Hernando Franco (1531-1585) puis on ajouta deux In dulci jubilo sans omettre ces prières élogieuses à la vertu de sagesse d’une foi résolument prostrée mais inébranlable (O virtus Sapientiæ!).
Mais c’est l’étendue et la somptuosité du Magnificat de Arvo Pärt qui emportera le plus l’adhésion avant l’entracte.
Bientôt 50 ans d’existence
L’Ensemble vocal Tallis Scholars existe depuis 1975 avec ses remplacements obligés au fil des cohortes, des retraites et des disparitions. Il reçoit les éloges les plus nourris d’admiration partout où il passe et même s’il porte le nom de Tallis sans offrir cette fois-ci, à Montréal, d’œuvre de lui à son programme, on est souvent amené à jouir en ses programmes d’œuvres d’Olivier Messiaen ou de Francis Poulenc.
Progrès et les Écritures
Il faut une profonde connaissance de l’esprit des Saintes Écritures pour apprécier pleinement la valeur muséologique et musicale de ces évocations des temps d’hier. Je dois admettre que l’actualité des derniers mois et jours me ramène hélas rapidement à cette révolte intérieure détruisant la paix d’esprit nécessaire à la jouissance de cette spiritualité musicale: oui, ces massacres sanguinaires et génocidaires avaient aussi lieu au Moyen-Âge, à la Renaissance, alors que des États aussi vite effacés de la carte qu’en cinq levers et couchers du Soleil, voyaient des âmes repentantes se lamentant en religion et en musique de leurs crimes, de leurs mensonges, de leurs ultérieurs regrets de mécréants et d’assassins mal intentionnés. Mais j’ai cru au progrès de l’Humanité et me voilà rattrapé par des faits non musicaux.
Rédemption
Cette musique célébrée par les Tallis Scholars doit atteindre le Paradis où reposent ces milliards d’âmes assassinées en notre Terre couverte de sang et de pleurs, et de prières et de chants inspirés.
Le rappel constitué d’une musique de Praetorius ne fut pas celui que j’attendais en mes souhaits secrets: n’est pas venu ce chéri Ô Sacrum Convivium d’Olivier Messiaen, un compositeur que cet ensemble présente souvent avec Francis Poulenc et autre chef-d’œuvre de ce répertoire au public raréfié par la vertu d’érudition qu’exige ce genre de récital, une érudition qui me manque absolument en parfaite ataraxie pour bien savoir l’élucider.