Dans cette pièce de Juan Mayorga, un élève doué a, comme destin, de subir les méthodes pédagogiques et commentaires inadéquats d’un professeur sans réelle vocation autre que sa prétention d’excellence parmi une jeunesse qu’il affirme barbare. La pièce s’amuse à nous persuader, par ici et par là, que ce garçon atteindra cette finalité heureuse de la performance optimale: écrire comme les Grands. Quoique brillante par le jeu assuré de tous les comédiens, on ne peut dire que Le garçon de la dernière rangée soit plus que divertissante.
Un propos d’actualité: communiquer une passion
L’inspiration lycéenne ne manque pas au jeune Claude, étudiant doué, curieux et discipliné, je dirais même trop obéissant, joué brillamment par le lumineux Vincent Paquette. Cet adolescent se tenait prudemment au fond et à la dernière rangée d’une plate classe de littérature où agonise de misanthropie scolaire un professeur de piètre gabarit pédagogique. Claude restera l’étoile scintillante de cette pièce de Juan Mayorga et de cette classe de garçonnets soumis aussi à des cours de maths et de philo. Claude n’est guère entouré que de demi-figures.
Une recherche délibérée de multiplication des sens
La fatalité de la création artistique tout comme de la recherche philosophique c’est d’inventer une histoire (ou une pensée) apte à offrir une finalité captivante à l’intrigue. Lorsqu’existe une unité d’action romanesque ou théâtrale le génie les magnétise et il n’est pas dit que l’écrivain doive à tout prix suivre des règles classiques ou sacrées de composition. Pourtant c’est ce que le professeur passionné de littérature (bien joué par Hugues Frenette) croit ou espère ou souhaite inculquer à ses jeunes cerveaux adolescents encore puceaux.
Un seul répondra à l’appel, bouée de sauvetage du prof
Ce projet pédagogique, même dans un collège privé, à lui seul est loufoque et seule l’ambition parallèle de faire lire à ses élèves de nombreuses œuvres de grands maîtres universels est louable. Un seul élève, donc ce solitaire ou trop sensible Claude, répond à l’appel: il remplit intelligemment les devoirs supplémentaires à l’avance, jusqu’au projet exploratoire d’une maison d’un quartier lointain mais qu’il aimerait connaître ou frôler de jour comme de nuit.
Un caractère fêlé sans solides convictions
Nous avons un professeur de Lettres désabusé de son éreintant travail de correcteur de copies médiocres qui le consument au bout de son peu pédagogique crayon rouge cracheur de zéros, chose qui ne peut motiver quiconque à s’ouvrir à l’écriture ou à se soumettre à des exercices de « création littéraire » pour ne pas dire de ré-créativité.
Le renforcement positif absent
La création littéraire de grande valeur appartient au génie. Et ce n’est pas une surprise que ce très mauvais professeur réussisse seulement à ce que l’adolescent abandonne ses études, conséquence absolument identique à ce qui se passe dans nos écoles élémentaires et secondaires où les élèves talentueux, surtout chez les garçons, se désintéressent ou délaissent tout très tôt sans avoir formé ni un esprit sain entraîné au juste vocabulaire d’une pensée structurée ni à affiner un corps sain habitué à l’effort physique, disons d’un dépassement athlétique quotidien sans que cela soit l’objectif olympique.
Les idées de sa femme acariâtre en reproches
Ce professeur est un homme mal épousé ou épousant mal à la fois sa vocation et son épouse: elle lui rentre dans la tête ses chambranlantes idées critiques ou puritaines ou de censure à propos des vaillants écrits de Claude qu’elle se mêle de lire. Et lui, il les rabâche au jeune. On ne saurait être séduit par le peu de rationnel de sa très peu douce moitié presque toujours amère.
Des rôles féminins très clichés
Les deux rôles féminins sont des clichés qui se complètent dans le tableau des liaisons bancales: soit la femme du maladroit professeur a des côtés détestables: très bien jouée par Lorraine Côté, elle est dominante, envahissante, moralisatrice, attardée aux qu’en-dira-ton mais très fragile. L’autre figure féminine (bien jouée par Marie-Helène Gendreau) est l’épouse conciliante qui se mortifie et s’empêche de se réaliser en suivant les projets de frime de l’époux peu exemplaire. Et elle se ratatine sans cesse.
Un père de famille et un fils en copié-collé
Le pater familias (Ralf joué par Charles-Étienne Beaulne) d’une maison vastement hypothéquée que le garçon Claude n’a pas (à l’étroit chez lui) mais qui l’intrigue (cette maison du lourdaud Ralf) dispose d’une progéniture faible là-haut (le fils Ralf bien joué par Samuel Bouchard). Le portrait est à l’image de ces familles (d’êtres dits lamentables mais fréquents aux USA) où père et fils singent les mêmes habitudes et silhouettes vestimentaires, les mêmes prénoms, les mêmes passions rustres ou rudimentaires.
Un garçon sans doute pas comme les autres
Claude tranche donc avec tout cela et n’appartient pas à ce monde. Il est seul à briller dans l’incohérence et l’incompétence institutionnelle de l’école, laissé à lui-même mais hypnotisé par la famille matérialiste et superficielle du monde moderne.
Voilà comment (une fois réalisées ses deux découvertes, soit l’exploration de la maison intrigante et un premier amour) il reçoit une gifle finale du prof-mentor-conseiller refusant la supposée immoralité de son génie, son intrusion dans l’intimité des autres craignant qu’on s’aperçoive, nul doute, de la très maigre sienne. Mais pourtant, pense-t-on, c’est bien ça la marque du grand écrivain !?!
Faciliter une plainte contre soi
En plus des idées de sa femme que le professeur rapportait sans grande pédagogie ni compréhension de ce qu’est le renforcement positif à son élève brillant, créatif, débrouillard, inquisiteur toujours assis dans la dernière rangée d’une classe de cancres (on eût pu croire qu’il se serait déplacé progressivement vers la première rangée), le professeur a la maladresse de prêter volontairement le flanc au reproche pédagogique et à la plainte étudiante des nuls si facile en notre époque de sensiblerie ministérielle.
L’amour de la lecture seul trophée
Comme ce professeur manquait de conviction et d’assurance dans ses conseils de créativité littéraire, on se dit: Peut-être aura t-il réussi à inculquer l’amour de la lecture? Survient alors la réflexion la plus percutante de la pièce, soit que ces deux goûts culturels, aimer lire et écrire, rendraient toute existence fort malheureuse, semble-t-il, sur cette Terre de négociants rêvant primordialement la Fortune.
Une Terre de vendeurs de mirages ou de fumisterie artistique métamorphosée en galeries d’art ou d’esthétique fumeuse que la jadis Nouvelle Critique d’autrefois s’amusait à déconstruire ou à enfumer de mirages dans nos classes de littérature aujourd’hui presque toutes tombées en désuétude.
Moments tragiques vite balayés
Sans être une pure satire ni sans verser dans la tragédie, la pièce en son ballotage offre des moments divertissants mais aussi des longueurs réelles. Il est question encore de l’école catastrophique d’aujourd’hui: on y mêle les genres littéraires en balançant au chapitre du culte officiel une foule de grands noms de la littérature mondiale.
L’incapacité des professeurs incompétents de reconnaître leurs erreurs est certes un moment d’orgueil fréquent, attristant, tout comme l’apparente visite de parents révoltés (jusqu’à battre physiquement l’enseignant, semble t-il, en réunion privée). Qu’on ait humilié tout enfant en classe par des propos ou des commentaires ou des procédés pédagogiques plus que douteux discrédite encore le professeur qui se permet même une ultime gifle à son émule.
L’incapacité aussi de formuler non seulement ses excuses humbles aux élèves ou aux parents mais tout autant d’apporter des correctifs à sa pédagogie bancale est la première cause de ces tristes abandons sans que cela donne comme fond de pensée de quoi rire sans hésitation.
Étrange effet plutôt romanesque
La trame devient ainsi narrative, elle part dans tous les sens et fait éclater le genre dramatique: on narre beaucoup, on cite une multitude d’auteurs de romans qui ne signifieront rien au public moyen (qu’on cherche partout à renouveler) comme source d’évocation riche d’allusions, enfin du moins pour qui ne les aura pas lus, connus, consultés, entendus.
Cependant, pour qui connaît bien Hesse, Tchekov, Tolstoï, Dostoiëvsky (l’incontestable génie de l’incomparable littérature russe à laquelle seule la littérature française se mesure), Edgar Poe, les sommets de la philosophie antique avec Platon, Socrate, Senèque, enfin passons-en… ces références littéraires et philosophiques ne font qu’ajouter un tape-à-l’oeil qui ne permet pas à l’auditeur de sortir du labyrinthe des sens décuplés en porte-à-faux. C’est une énumération qui emprisonne.
Et pourtant j’ai songé à Diderot!
Au mieux, l’émotion ressentie par le spectateur ayant lu le corpus littéraire en question c’est à Jacques le Fataliste de Denis Diderot qu’il pourra songer. Un dialogue perpétuel sur l’unité d’action! Une autre réflexion amène parfois à penser cette pièce de théâtre comme étant construite du substrat d’autres genres littéraires, car on y sent le roman et l’essai… et on évoque l’atteinte incomparable du genre littéraire le plus sublime soit le sublime de la poésie!
Des failles dans la psychologie d’un personnage-clef
Au fond d’une classe, médiocre ou même exceptionnelle, un seul élève ne saurait sustenter la passion littéraire d’un professeur surtout s’il est peu voué à cet art habile de la transmission.
Il faut louer ici, finalement, le merveilleux effort fructueux des metteurs en scène (Marie-Josée Bastien et Christian Garon), l’économie prodigieuse des décors, les représentations habiles des scènes et dialogues essentiels au propos s’épivardant au carrefour (comme celui, très célèbre, de Thèbes) de nos actuelles duplications de sens primordiaux, hélas au détriment d’un seul sens primordial. Heureusement, l’irréprochable jeu des comédiens suffira sans doute à assurer de bonnes salles jusqu’au 14 septembre prochain au Théâtre de la Licorne.
Le garçon de la dernière rangée El chico de la última fila (2000) de l’auteur espagnol Juan Mayorga du 27 août au 14 septembre. À la Licorne. Production Niveau Parking.
Traduction française de Jorge Lavelli et Dominique Poulange
Adaptation québécoise
Maryse Warda
Mise en scène
Marie-Josée Bastien
Christian Garon
Avec
Charles-Étienne Beaulne, Ralf-père
Samuel Bouchard Ralf, Ralf fils
Lorraine Côté, conjointe du professeur
Hugues Frenette, Professeur de lettres
Marie-Hélène Gendreau, Épouse de Ralf
Vincent Paquette, Claude ou Le garçon de la dernière rangée
Photos : Émilie Dumais et Eric Dumais
Théâtre La Licorne – La Manufacture
4559 avenue Papineau, Montréal
theatrelalicorne.com