Le théâtre Espace libre propose Plácido-Mo, un spectacle déambulatoire dans le Centre-Sud, qui pourrait changer notre perception de ce quartier montréalais et de la ville en général, dit-on. Muni d’un casque d’écoute, les marcheurs se laissent guider par les propos enregistrés de personnes qui ont vécu l’itinérance. Là où nous voyons une bibliothèque, peut-être voient-elles surtout l’opportunité d’aller à la toilette. Là où nous voyons un café, peut-être voient-elles un endroit pour se protéger du froid, en attendant l’ouverture du métro…
Ce projet conçu par la comédienne catalane Magda Puis Torres fut créé à Barcelone, en 2016. Il tient son titre de Plácido-Mo, le pseudonyme qu’avait adopté un chômeur espagnol pour raconter sa vie et celle d’autres sans-abris sur Twitter.
Le spectacle garde la même formule, mais il est ancré dans la réalité montréalaise. Les marcheurs, d’abord réunis à l’intérieur du théâtre Espace Libre, sont guidés dans leur parcours d’environ une heure par les voix enregistrées de Mario St-Denis, Nicolas Leclair et Diane Gariépy, trois personnes qui ont vécu dans la rue.
Tour à tour, chacun prend la parole pour dire, par exemple, que nous sommes arrivés dans un parc où il a souvent dormi, ou devant un restaurant où on lui a permis de rester au chaud durant quelques heures, etc. Pour sa part, Nicolas raconte que même s’il n’est pas gay, il allait parfois dormir dans un sauna, où il pouvait passer 12 heures dans une chambrette pour 16$.
Des rêves de sans-abris
À travers leurs touchants témoignages, on constate que leurs rêves ne sont pas si différents des nôtres, sauf peut-être dans le cas de Diane dont le grand bonheur serait de pouvoir s’acheter un dauphin. Mario, lui, comme bien des gens, aimerait gagner le million, alors que Nicolas voudrait faire le tour du monde. Ils ont aussi réalisé certains de leurs rêves. Pour sa part, Mario a réussi à amasser assez d’argent pour aller voir Gerry Boulet et Offenbach au Forum. «C’est le meilleur groupe québécois de tous les temps et demandez-moi pas de vous chanter leurs chansons», ajoute-t-il en un éclat de rire.»
La rue leur a aussi permis d’apprendre que «les meilleures journées pour quêter sont les jeudis, vendredis et samedis, parce que les gens viennent de recevoir leurs payes». Mais, leur vie a maintenant changé et tous les trois se disent soulagés d’avoir enfin pu quitter la rue, après avoir trouvé un logement.
Nébuleux
On se demande donc pourquoi Diane a longtemps vécu dans la rue, même si elle avait un travail. Elle explique qu’il aura fallu que son fils la menace de lui interdire de voir son petit-fils pour qu’elle se décide à changer de vie. Quant à Nicolas, il précise que c’est le jour même de ses 18 ans qu’il a commencé officiellement à vivre dans la rue. Était-ce son choix ? Il nous manque d’importantes clés pour comprendre leurs cheminements. En plus, on ne les voit pas et leurs voix ne suffisent pas à nous faire entrer pleinement dans leur monde.
Au bout du compte, cet exercice n’ajoute pas grand chose à l’expérience du citoyen un tant soit peu observateur et sensible. Par exemple, voir un sans-abri recroquevillé près d’une station de métro par une nuit glaciale de janvier, est autrement plus percutant que ce spectacle déambulatoire.
Enfin, fallait-il recourir à un concept espagnol pour traduire la réalité montréalaise des gens qui n’ont pas de toit, tributaires des chutes et remontées vertigineuses du mercure ? Espace libre a pourtant présenté, au fil des ans, d’excellents «spectacles de quartier», avec des citoyens du Centre-Sud. On pense, entre autres, à Pôle Sud d’Anaïs Barbeau-Lavalette et Émile Proulx-Cloutier, mémorable théâtre de vérité. Malheureusement, on est loin d’atteindre ce niveau avec Plácido-Mo.
Plácido-Mo : Spectacle déambulatoire dans les rues du Centre-Sud
Du 24 août au 5 septembre 2021
Du mardi au vendredi : 19h et 20h30
Samedi : 15h, 16h30 et 19h
Dimanche : 15h et 16h30
Création et mise en scène : Magda Puig Torres et Ricard Soler Mallol
Avec les témoignages de : Mario St-Denis, Nicolas Leclair et Diane Gariépy
Conception sonore : Alexander MacSween