Mon premier est une remise en question de l’apport du théâtre dans le contexte actuel, mon deuxième est un bouleversement politique aux retombées mondiales, mon tout donne 8, le troisième et dernier volet du cycle de création opéré par Mani Soleymanou depuis 2015.
Il s’agit d’une première rencontre entre l’auteur, metteur en scène et comédien, Mani Soleymanou et moi, et déjà, un regret : celui de ne pas avoir vu Ils étaient 4 et Cinq à Sept, les deux premiers volets de cette trilogie. Non pas que cela m’aurait permis de mieux comprendre la pièce 8, mais disons que j’aurais été familière avec son ambiance, son discours, bref sa couleur créative. Mais essayons pour voir…
Considérons les huit comédiens, qui interprètent leur propre rôle… ou presque : trois femmes et quatre hommes, parmi lesquels Emmanuel Schwartz qui est le seul à ne pas avoir déjà joué dans les volets précédents. Considérons à présent le décor : minimaliste voire même inexistant, ce qui m’amène à penser que l’emphase va être portée sur les comédiens,… j’achète ! Les éclairages et bruitages : un usage redondant, limite agressant, mais qui permet de dynamiser une mise en scène épurée à l’extrême.
Maintenant, intéressons-nous aux deux parties de ce spectacle : la première est une discussion, un caucus, un débat très drôle au cours duquel, les comédiens peinent à s’accorder sur le sujet du spectacle : De quoi allons-nous pouvoir parler ? Faisons-nous un spectacle ou racontons-nous une histoire ? Sous quel angle ? Autant de questions que nous les imaginons très bien se poser en amont, lors des premières étapes de création. Les répliques fusent, donnant naissance à une ébauche de réflexions sur le théâtre, son utilité, le métier d’acteur – thème abordé sans doute de manière plus analytique dans Cinq à Sept – et des critiques aussi ! J’en profite pour saluer le monologue vociféré par Kathleen Fortin sur la construction à Montréal qui à défaut d’être original, est brutalement comique !
Finalement, après avoir longuement hésité entre un procès et un party, la fête démarre sous fond… d’élections américaines ! Alors que le sujet a été évoqué sous bien des aspects, il apparaît ici comme le traumatisme de 2016, aux répercussions incertaines et qui devrait rester sous notre mire jusqu’à nouvel ordre. La politique, l’émancipation précoce, les critiques (!!), l’environnement, l’éducation… les discussions sont variées, absurdes juste comme il faut et très au goût du jour, ce qui montre bien une finalisation tardive mais maîtrisée de la pièce.
Alors pourquoi un party ? À mon humble avis, c’est l’un des meilleurs moyens pour illustrer le chaos de l’actualité : un endroit bruyant où tout le monde parle mais personne ne s’écoute, où les sujets saugrenus côtoient les questionnements graves, où chacun évolue dans son microcosme sans réellement se préoccuper de ce qu’il se passe autour, dans lequel des réflexions profondes sont élaborées mais ne sont pas approfondies ou analysées ; elles sont de l’ordre du constat…
Voilà, on tient quelque chose : 8, c’est une constatation fataliste, sous forme de rétrospective d’actualité, élaborée par des comédiens qui dans leur propre rôle et à partir de leur vécu, tentent de progresser ensemble pour aboutir à une pièce drôle, divertissante, utile et constructive, le tout sur fond de désastre politique annoncé mais incompris.
Eh bien, M. Soleymanou, toute une approche et une perspective que je ne manquerai pas de suivre lors de votre prochain cycle de création.
Le spectacle 8 est présenté jusqu’au 28 janvier, à la Cinquième salle de la Place des Arts.
Mise en scène MANI SOLEYMANLOU
Création MANI SOLEYMANLOU avec la collaboration des interprètes
Comédiens ÉRIC BRUNEAU, GUILLAUME CYR, KATHLEEN FORTIN, JULIE LE BRETON, JEAN-MOÏSE MARTIN, GENEVIÈVE SCHMIDT, EMMANUEL SHWARTZ
MANI SOLEYMANLOU
Durée du spectacle: 1 h 30 sans entracte