23e Festival Cinémania, Film d’ouverture
À prime abord, le propos central du film LE SENS DE LA FÊTE est bien moins simpliste que la «comédie» à volet satirique d’Éric Toledano et d’Olivier Nakache ne semble vouloir le laisser paraître.
La peinture cinématographique de la principale fête risible que l’on donne à voir
est celle d’un mariage chez les riches propriétaires du château de Courances, fête
organisée par un traiteur parisien. L’équipe qui l’organise se veut un microcosme
plébéien de la France moderne, manifestement incompétente et incapable de s’exprimer calmement, même aux rares moments d’apparente trève où deux employés quelconques du service de traiteur embauché pour l’occasion, soudainement n’en sont plus pris à la gorge, donc plus en train de s’insulter, de s’agresser, de s’intimider, avec
l’argot détestable qui a, tout partout, pris, là-bas, la place du français…cette
langue à l’agonie qui ne se parle et ne s’écrit plus qu’au sein des classes
instruites.
C’est ici qu’il faut rappeler que l’humour comporte des limites culturelles qui
balisent la fin et le début d’une multitude de genres comiques s’enchaînant les uns
aux autres. Le ridicule de la simple parodie des classes laborieuses est sans aucun
doute une supportable prison dont on ne veut sortir et qui forme la base du rire
(l’exemple de La petite vie vient à l’esprit) mais dans ce film on déborde du
grotesque pour attaquer jusqu’à la façon d’être et de se comporter des classes de
parvenus se croyant invulnérables à la moquerie. Et, en s’éloignant de la parodie
d’une seule classe, ce film fait bientôt penser à la menace du ridicule sur tout le
monde social qu’on portraiture tel quel parce que le miroir des bipèdes au téléphone
sous l’oeil, à l’oreille et toujours à la main, ici, informe le spectateur sur
l’état des rapports sociaux et intellectuels.
Il n’y a même plus d’exagération cherchant à déformer ou grossir la vérité: on nous
montre, dans ce film supposément très drôle, à l’heure actuelle comment, au pays de
la joie de vivre (!) on s’amuse et on fête par mauvaise chanson, piètre
chanteur et mauvaise musique en plus!
Quelle fresque lamentable nous tombe ici sous les yeux, venue de chez nos pauvres
cousins générés par le post-mittérandisme, sans doute la plus grande débâcle
politique et sociale d’une vieille nation méconnaissable!
En tant que spectateurs, si on pouvait fuir uniquement avec le sens de la fête au
coeur, jusque dans l’univers de l’humour parodique et satirique, ce serait bien. Le
problème c’est que le coeur nous est arraché à grands coups de meurtrissures, car
tout Québécois, sans devenir cynique, sait que la gentillesse est la qualité
volatilisée du coeur des Français, en tout cas depuis un siècle ferme de débâcles
militaires et diplomatiques.
Avec son titre ironique, Le sens de la fête, nous plongeons dans un réalisme du quotidien français contemporain, celui de l’agression perverse et narcissique d’une société, disons-le, malheureuse, souffrant d’un état social de déclassés qui fait migrer annuellement bien plus de dix mille jeunes Français adorables et au bon coeur chez nous qui les accueillons de bonne grâce et, finalement, avec ravissement puisqu’ils ont quitté, rendus ici, ces hystéries agressives d’acteurs journaliers d’une France insupportable (sans doute victime d’inconscience ou d’ignorance des fondements de sa culture) pétrie de mépris institutionnalisé, un tableau d’ensemble qu’hélas! ce film dit comique met avec limpidité en scène jusqu’avec la parodie de leurs revendications patronales ou syndicales péniblement formulées!
On est loin de l’histoire drôle – pour un public québécois – car la réception de ce
film par un public français restera excellente, soyons-en sûrs, tellement on trouve
drôle ou risible l’incivisme, la malhonnêteté, l’infidélité, la tromperie, la
fraude, l’irresponsabilité, l’égocentrisme, le narcissisme pervers. L’art de la
répartie mesquine et fondamentalement méchante du dénigrement de l’autre comme sport quotidien, cela est anodin et ne scandalise pas en France : on s’y est habitué et on en est immunisé de sorte qu’on peut légèrement en rire. Le public québécois, lui,
n’aura pas la même légèreté: à vivre de telles interactions au quotidien, un
Québécois pourrait même être terrorisé d’un tel usage cinglant de la parole humaine
mitraillant à la demi seconde les insultes.
Une seule fuite de ce triste marasme, un seul épisode métaphorique loin de la satire
agressive et vitriolique, survient en gros ballon d’hélium rond comme la pleine
lune, celle des Dialogues du Soleil et de la Lune du vrai de Cyrano de Bergerac sans
doute. Cette accalmie constitue la seule magie authentiquement loufoque du film,
quelques images brèves, burlesques et dignes d’un cirque bien d’ici qui émerveille,
lui.
Voyons quand même précisément le détail de ce que ce film, loin d’être dérisoire,
nous donne à voir pendant un lancinant 117 minutes presque paniquant où, d’un point de vue québécois, l’on ne cesse de rire jaune le plus clair du temps.
Le synopsis? Le traiteur parisien Max (joué brillamment par Jean-Pierre Bacri)
persiste depuis des décennies à se mettre au service des clients difficiles voulant
festoyer lorsqu’il organise leurs réceptions les plus diverses. Il le fait avec
autant de grâce et de bonnes manières qu’on en montre envers lui.
La première scène du film est parisienne, au pied des jardins du Trocadéro où un
jeune couple estime devoir obtenir plus de Max, fort attentif à leurs réclamations
et fort conciliant. En tout cas, Max se fait fort de trouver réponse à toute requête
fantasque: il fait étalage et montre bien plus que des égards même si les jeunes
clients osent demander humblement de pouvoir encore, si possible, payer moins. Max
a, pour eux, la solution d’une imagination festive en peau de chagrin, à la mesure
de leurs moyens miniatures au point de leur concevoir une réception où chacun
apportera mets et boisson voire même des décorations d’enfantillages pour s’en faire
un chapeau s’il le leur faisait bricoler: les clients de la génération connue (en
anglais les entitled-ones) sous le vocable en-droit-d’attendre-bien-plus se défilent
bien honteux de leur ridicule.
Fuite subséquente de la caméra vers un ailleurs socio-économique: on se transporte
ensuite loin en Île-de-France, dans le Gâtinais, vers une autre clientèle bien
fortunée celle-là, habitant comme je l’ai dit plus haut le beau château de Courances
(17ième siècle) , célèbre pour ses sources d‘eau, ses jardins, son escalier en fer à
cheval répliquant celui de Fontainebleau, aussi son ameublement qu’on ne verra
jamais puisque le mariage a lieu aux jardins et qu’il vire à la catastrophe parce
que les travailleurs-serviteurs embauchés par Max ne viennent d’aucun institut
d’hôtellerie ou de tourisme.
Le savoir-faire, le bon goût, l’élégance, tout ce que symbolise la vieille France du château de Courances sont tournés en dérision. Le marié prononce un discours (métaphore de l’empoisonnement alimentaire) de trois heures dont on n’entend que la moquerie, les musiciens ignorent couplets et refrains de toute chanson française (et chacun sait combien elle est riche et millénaire).
Point de théâtre ou de fables, les grands auteurs de La Fontaine à Beaumarchais sont
ridiculisés aussi. Pire encore: aucune musique française digne de ce nom (musique
classique, te voilà proscrite car la trame sonore du film est d’une pauvreté
d’ignares – ce n’est qu’un mariage de riches Français, après tout peut-être des fats
parvenus à ignorer Couperin, Rameau, Fauré Debussy, Ravel, Poulenc et ses
Fiançailles pour rire ou son Aubade où il y a, musicalement, de quoi rire!) et de
même avec les arts tant plastiques que ceux de la table qui y passent en feuilletés,
eux aussi, massacre au bistouri de l’ellipse et de l’égalitarisme républicain des
écoles desquelles s’assemblent les mal qualifiés d’avant hier et de demain.
Pour comble, l’oubli des sentiments humains, sauf la feinte de l’amour physique qui
n’est qu’une façon de se sauter dans les taillis après s’être géo-localisés au coeur
de la fête! Donc les habituels amants et maîtresses se trahissent en un soir comme
ils l’ont toujours fait en se raccommodant à la française (soit dit en passant
Suzanne Clément joue la compagne française infidèle de Max)… En somme, tout ceci
est un écho faible très post-Robert Altman de son Mariage (A Wedding) magnifique des années 1970 sauf qu’ici on se trouve en un haut lieu de l’Ancien Régime acquis et
occupé par le maréchal de Villars, un pays d’art et d’histoire dont on refuserait de
croire qu’il a pu tant dégénérer jusqu’à ce terme de la déconfiture culturelle et
humaine, hélas! c’est le cas.
Pour qui n’a pas connu ce que fut jadis la France ou en a perdu conscience tant de
sa stature humaniste que de l’outil de nuances et de pensée que fut sa langue, un
tel tableau de médiocrité ne donnera pas la nausée d’en rire.
Pour les esprits cultivés, aucune distanciation n’est possible entre la réalité
actuelle de la France et cet étalage réaliste dit drôlatique de sa décadence totale.
On en vient à souhaiter n’en jamais plus entendre parler. Plus bas que la défaite
militaire, plus humiliant que la pauvreté matérielle se situe la déchéance et le
dénuement moral. Le rire est tout à fait jaune ici, car on projette une France en
loques, partout à l’agonie. Certains diraient qu’on n’est pas dans l’humour, mais
dans la tragédie, à part l’envolée en ballon. Qu’est-ce donc qui puisse encore me
déconseiller de vous en recommander le visionnement? Rien d’autre…donc, à voir!
LE SENS DE LA FÊTE . 117 minutes. France, 2017. Film d’Olivier Nakache et Éric Tolédano. Avec Jean-Pierre Bacri, Gille Lellouche, Jean-Paul Rouve, Vincent Macaigne, Suzanne Clément. FESTIVAL CINÉMANIA Vendredi 3 novembre 13h15, Cinéma Impérial.