Ce n’est pas tous les jours qu’on peut voir une distribution composée de Québécois et d’Écossais au théâtre. Après le référendum sur l’indépendance de l’Écosse, en 2014, des similitudes avec le référendum de 1995, au Québec, ont amené Philippe Ducros à écrire cette pièce avec Davey Anderson et Linda McLean, tous deux de Glasgow.
Bien qu’il ne s’agisse pas, ici, de théâtre-documentaire, ces deux consultations historiques sont les piliers de la pièce. Les comédiens jouent un rôle et semblent parfois parler en leur propre nom, alors que la question de la légitimité de l’indépendance des peuples est au centre des discussions, lors d’un repas familial houleux. La mère (impeccable Isabelle Vincent) qui a connu un certain succès comme peintre, s’apprête à annoncer une importante nouvelle à ses proches. Elle se prépare à un virage majeur. Mais, de quoi veut-elle se libérer ? Elle parlera, entre autres, du poids du silence qui régnait dans les rues de Montréal, aux lendemains du référendum de 1995, une année où les premières neiges sont tombées prématurément, laissant présager d’un long hiver. Parmi ses invités, son frère, Torontois d’adoption, incarné par l’excellent Harry Standjofski. Avec une dose d’humour noir, le comédien annonce qu’il va parler en anglais et incite le public à ne pas prendre panique. Il garde d’âcres souvenirs des élans souverainistes québécois et se rappelle avoir vu sa mère devenir «blanche comme un drap», en suivant la crise d’octobre 70 à la télé.
Une scène de trop ?
Par ailleurs, cet anglo qui travaille des deux côtés de la Saint-Laurent, est loin de partager les revendications des «carrés rouges» de 2012, épisode historique majeur aux yeux de la cadette de la famille (Charlotte Aubin). Cette dernière perd patience et s’en prend physiquement à Harry, en tentant de l’étrangler avec son fil de micro ! Fallait-il aller jusque là ?
Harry Standjofski, Thierry Mabonga et Charlotte Aubin.
Crédit photo : Bruno Guérin
Les deux côtés de la médaille
La jeune femme a un amoureux (Thierry Mabonga) qui a dû quitter son Congo natal pour Glasgow. L’homme ne parle pas français, ce qui agace le Québécois de région (François Bernier), qui note que, dès qu’un anglophone ne parle pas le français, au Québec, tout le monde passe à l’anglais. Ce à quoi le Congolais d’origine répliquera que les ravages des Français au Congo lui ont fait perdre le goût de s’exprimer dans cette langue. Ajoutons que les parties jouées en anglais sont accompagnées de surtitres en français.
Prise deux
Les sept comédiens qui ont joué cette pièce à Édimbourg, l’an dernier, semblent très à l’aise entre eux et nous donnent l’impression de bouger avec aisance, malgré l’exiguïté de la scène du Quat’sous. Même si le texte va dans de (trop?) nombreuses directions (peur de vieillir, féminisme, héritage du territoire, etc.), il n’en n’est pas moins empreint d’humour et nous rappelle qu’on a rarement intérêt à couper les ponts, quelles que soient nos désaccords.
Première neige / First snow
Texte : Davey Anderson, Philippe Ducros et Linda McLean
Mise en scène : Patrice Dubois
Avec : Charlotte Aubin, François Bernier, Guillermina Kerwin, Thierry Mabonga, Fletcher Mathers, Harry Standjofski et Isabelle Vincent
Au Théâtre de Quat’sous, jusqu’au 23 mars