Il faudrait être de très mauvaise foi pour affirmer que le programme audacieux du courageux et téméraire Marc-André Hamelin voulant jouer les deux plus difficiles concertos du répertoire (avec le second de Prokofiev et le troisième de Rachmaninoff bien entendu) par temps caniculaire n’a pas été le succès éclatant qu’il fut! Je me fais l’apologue de cet exploit malgré les conditions difficiles. Ma fréquentation attentive des salles de concerts et récitals depuis 1976 où j’ai fait voeu de m’ouvrir volontiers le coeur pour entendre ces artistes à partir des salles du conservatoire et des universités de notre pays peut vous en assurer et vous en garantir la valeur absolue en ce torride 28 juillet 2019.
Marc-André Hamelin a fort mieux joué le premier Concerto en ré mineur de Brahms opus 15 en fin de programme musical à Lanaudière. Ce pianiste que je suis attentivement- et de très près (comme tous nos artistes d’ailleurs du grand art musical depuis des décennies)- n’a pas à rougir des déconvenues causées par le piano Yamaha supposément apprêté et restauré par Osmonde and White tel que cela était fièrement arboré au côté latéral droit de l’instrument. C’est, bien entendu, le deuxième concerto en si bémol majeur opus 83 de Brahms qui a causé problème pour les réglages et arrimages avec l’orchestre si nécessaires et qu’il a fallu, bien évidemment, rafistoler dans les heures matinales précédant la prestation officielle. Quiconque survint vers midi et quart, a pu entendre et voir la répétition à l’exercice du premier concerto, ce qui signifie qu’on avait bouclé ou enceint les arrimages orchestraux du deuxième concerto aux petites heures de la matinée.
L’orchestre du Gewandhaus de Leipzig ou la Philharmonie de Berlin ou le Concertgebouw d’Amsterdam, spécialistes de ce répertoire, savent que des jours entiers sont nécessaires pour tout mettre en place avant un quelconque projet d’enregistrement. Néanmoins, considérant le rêve idéal d’une telle fête brahmsienne que personne ne reverra de sitôt (aucun pianiste de soixante-moins-un-an n’a cette forme athlétique un peu casse-cou d’ailleurs), il faut décerner la palme de l’audace et de la passion musicales à Marc-André Hamelin, car ce fut vraiment un grand jour pour lui de soutenir psychologiquement et nerveusement ce projet. Aussi soulignons une affabilité remarquable du public qui a dû être rappelé à l’ordre de lire le programme imprimé indiquant quatre mouvements à l’opus 83 et trois à l’opus 15.
C’est bien beau de dire par la voix du vaillant et si charmant chef Yannick Nézet-Séguin que nous avons incontestablement la joie de détenir en notre Cité québécoise cultivée…de ne pas applaudir entre les mouvements, il faudrait aussi prendre dix autres secondes pour leur apprendre à lire…le programme. Ces tirets avec des mots italiens pour dynamiser les mouvements, pour madame et monsieur Chose heureux d’avoir accouru applaudir l’authentique intrépide héros du jour (Marc-André), cela devient en fait utile et nécessaire à chaque concert de le leur faire bien entendre et comprendre. Je résume rapidement mes réserves de critique musical sincère en ce qui a trait au jeu du bout des doigts de fer ou d’acier qu’a Marc-André Hamelin pour ce qui est du second concerto de Brahms: surtout qu’il y manquait la participation du corps entier, du poids du dos et des épaules, lui qui, trop rigide, a un son énergique, certes, mais il y manquait la passion encore récente et audible du jeune Alexandre Kantorow au dernier concours Tchaïkovsky, par exemple. Ce petit prodige joua le second de Tchaïkovsky en une même séance de finale de concours (en salle climatisée) mais il est dans la jeune vingtaine et c’est un jeune Gilels.
En somme, il manquait peut-être à MAH (et c’est discutable, je sais) également les infimes fractions de silence quasi rubato entre les phrases, cette attente d’hésitation souffrante qu’on doit appeler l’émotion viscérale brahmsienne, soit les accents d’intensité passionnée ou désespérée propre au compositeur parvenu à ses dernières années (non marié, entouré d’amis, certes, mais solitaire et esseulé dans la froide et cérébrale Vienne remplie d’éternelles splendeurs musicales pourtant). Il est sans contredit arrivé que Marc-André Hamelin ait eu des moments de ferveur poétique foudroyante lors de plusieurs récitals passés au festival de Lanaudière dans des symphonies et concerto pour piano seul d’Alkan que j’ai eu la joie inoubliable d’écouter en une belle église locale, même qu’il excella dans son récital récent au Ladies Morning Musical Club à l’automne 2018. J’ai souvenir aussi du jeune Marc-André quand il jouait à 19 ans la Fantaisie de Schumann au coeur d’un concours de Montréal où il fut éliminé au second tour avec Éric Lesage d’ailleurs…devenu, lui, plus tard, le grand spécialiste de Schumann.
C’était l’époque soviétique avec les échanges de bons (mais très mauvais procédés entre membres gauchistes des jurys fort collégiaux où on faisait marché de faire passer Ekaterina Sarantseva en éliminant tel autre…quoique elle fut la plus impressionnante d’une autre fameuse édition ) oui, j’ai vu ça et ragé de tout ce qui a cours encore en sauvette aujourd’hui, n’ayons pas d’illusions sur les concours… Alors que j’étais insolent adolescent j’osais bravement huer le jury à tue-tête. Mais enfin, après une longue traversée des déserts des concours musicaux où enfin Marc-André Hamelin obtint un premier prix quelque part dans les terres australes, on a vu sa carrière s’amorcer, surtout le fulgurant Godowsky en études glosées de Chopin qui connut un succès mondial jusqu’au gala Grammy ou les cérémonies d’Oscars, enfin MAH fut marié de liens d’influences l’ayant propulsé avec protection d’excellents gérants à l’avant-scène et il se remet de ces secousses personnelles aux voiles favorables, jadis, pour nous offrir en guérison ce joyau musical de double concertos que Nézet-Séguin lui a permis de réaliser avec son valeureux orchestre au festival de Lanaudière édition 2019. Il n’y a donc pas à s’insurger de perfections non atteintes dans un enregistrement en direct de titanesques oeuvres archi difficiles à jouer et même à apprécier.
On connaît ma ferveur pour Brahms et ses deux concertos dont Svjatoslav Richter, Bruno-Leonardo Gelber (le 2ième aussi), Emile Gillels (aussi le 2ème), Van Cliburn, Gina Bachauer, Idil Biret et Alexis Weissenberg ont immortalisé le second et Leon Fleischer (le 2ième aussi) ou Claudio Arrau (le 2ième aussi) ou Rudolf Serkin le seul premier! Il serait malaisé de dénigrer de quelque façon qui soit le jeu de Marc-André Hamelin ce dimanche sous de telles conditions avec ce piano sommairement réglé mais pas harmonisé pour les exigences étroites de l’exercice alors qu’il eut fallu au minimum un Steinway and Sons mais surtout un Bluthner (le vrai piano de Brahms) cet authentique piano artisanal allemand encore fabriqué avec le plus grand soin à Leipzig, marque dont aucune salle ne se procure un exemplaire et qui crée encore après un siècle et demi absolument les meilleurs pianos en Europe et au monde sans doute (depuis que Bösendorfer a été racheté, disons vandalisé d’imitations pour en rendre l’étiquette décrépite).
Il reste encore des Bechstein de haute valeur à Berlin où je suis passé l’été dernier…mais un Yamaha re-conditionné ou maquillé localement, c’était un pis-aller ou un choix risqué peu propice au grand succès incontestable de ce projet unique, à mon humble mais légitime avis. Seong-Jin Cho a eu plus de succès avec sa jeunesse digitale et son quatrième de Beethoven vendredi soir que MAH avec le second de Brahms. Mais la résilience paye et notre pianiste québécois qui fait dans la modestie, la retenue trop prudente selon moi ou parfois l’approximation obligatoire dans certaines descentes d’arpèges ou plaquages d’accords incongrus pour de si grosses mains de géant (il le faut bien tout va trop ou très vite et on ne pas arrêter le train de la musique en direct comme ça!), il aurait fallu, à mon avis, dans ces oeuvres qu’il se déchire le coeur en éventrant son corps à jamais alors qu’à presque soixante balais, cet exploit correspondait déjà à un Ironman musical sous les projecteurs d’un après-midi plus que torride, presque suffocant, veston blanc en lin j’espère…veste jamais quittée pour se mettre plus à l’aise en gaminet par exemple. MAH n’est cependant pas sentimental ou expansif, il arbore une technique solide cependant. Enfin, brave, stoïque, droit, gigantesque il le fut Marc-André Hamelin, malgré tout. Je ne connais personne qui puisse faire ça à perfection sinon dans une salle climatisée et seulement âgé de 23 à 28 ans, en finale de grand Concours, à Moscou, comme on l’a vu début juin, oui, peut-être.
Passons aux à-côtés: nous avons eu droit aussi à un discours très juste du magnétisant directeur artistique Renaud Loranger mettant en évidence son-illumination-juvénile-lorsqu’adolescent-et-découvrant-le-festival (cela fait très illumination de Vincennes à la Rousseau!) devant la ministre de la Culture qui, je ne sais si elle a pu ou su rester jusqu’à la fin, a reçu le message de la pérennité du festival et de la grande musique classique parmi nous: topo donc à l’effet que le festival c’était là pour rester. Cela passe obligatoirement par une réforme éducative québécoise avec la musique au curriculum scolaire OBLIGATOIRE, les 5000 dollars pour chaque école primaire de la province se procurant chacune au moins un piano droit neuf de qualité pour faire écouter, apprendre et jouer de la musique de valeur à des oreilles attentives aux cerveaux remplis de neurones jeunes, agiles et réceptifs, oui messieurs-dames avec des professeurs de musique au personnel enseignant. Pourquoi? Parce que quatre-vingt-dix pour cent de l’auditoire du dimanche 28 juillet, aussi méritoire qu’il l’est de se déplacer pour écouter de la vraie et de la grande musique, aura d’ici dix à quinze ans des problèmes de mobilité et des fins de vie inévitables que l’âge inflige. Il faut tant pour l’OSM que l’OM que pour la survivance de la culture occidentale surtout, que la musique et nos musiciens prennent leur stature de renouveau tout de suite et que, dès l’école primaire, on forme une relève enthousiaste et amoureuse de la musique classique, pour la faire faire connaître progressivement, comme la seule source de rêve infroissable en notre monde de téléphonés portatifs, avec mémorisation pour les enfants des joyaux la chanson française (de Adamo à Vigneault!) autre activité aussi qui puisse nous rasséréner sur le plan de la langue.
Ce que la CSDM fait avec la scolarité des Petits Chanteurs du Mont-Royal mériterait un procès public et des exécutions sommaires irrévocables par pendaison au Pied-du-Courant. Combien nous sommes redevables aux communautés religieuses de soeurs et de frères de l’éducation musicale des décennies 1920 à 1980…En somme, je salue en définitive en mémoire, ce grand exploit musical qui certes comportait d’inévitables imperfections mais qui fut l’audace de la décennie et la joie réincarnée de l’appétit musical passionné tout à fait bien incarnées. Bravo Marc-André, bravo l’OM avec son chef et bravo encore au festival de Lanaudière ! Bien entendu, la jolie valse-berceuse de Brahms à piano quatre mains entre Hamelin et Nézet-Séguin au fameux piano choisi fut d’une tendresse irrésistible! N.B. J’ai tenté, en fin de carrière, et réussi tout à fait pendant huit années, à l’école primaire, sertissant au centre de ma classe mon piano C-7 de Yamaha, d’instituer des enfants de 6 à 9 ans en musique classique et ce fut un succès retentissant.
C’est par le grand art des classiques en musique et au théâtre qu’on revigore le cerveau des enfants. Narrez-leur les épisodes de l’iliade, de l’Odyssée, de Tristan et Iseut, des mythes et légendes des Grecs faites-leur dessiner le plus beau moment de chaque épisode, asseyez-vous au piano et faites-leur goulûment apprendre La Croix l’Étoile et le Croissant jadis de Frida Boccara ou les chansons de Leclerc, Piaf, Vigneault, Léveillée tout en les faisant aussi courir sur la piste des courses à relais pour les endurcir à l’effort et vous verrez des yeux s’illuminer de la musique en Cd par compositeur que vous aurez distribuée régulièrement à chacun pour partage avec le petit voisin, au bout de deux semaines d’écoute individuelle obligatoire…
Vous assisterez à la métamorphose des coeurs et de ceci naitra des enfants-artistes avec un amour du beau et du bien et une mémoire mélodique ou poétique sans pareille. Faites leur réciter Verlaine, Lamartine, Rimbaud, Nelligan avec enchantement à 8 ans, vous verrez la moisson sera phénoménale et un nouveau public naîtra si vous leur coupez simultanément le poison des abrutissants jeux vidéos et ces ridicules ordinateurs-ersatz-de-garderie! Ce défi, mesdames les ministres et directrices de petites écoles ou de ministères obtus, peut tout à fait être relevé au lieu d’abrutir la jeunesse par des écrans télés déguisés en tableaux blancs interactifs qui ne servent qu’à peu de choses valables. Enseignons par les arts et tout concourt au renouveau.