Le journaliste Hugo Meunier vient de publier, au début du mois d’octobre, son premier roman Le Patron, aux éditions Stanké. Ce roman, qui a comme trame de fond l’univers journalistique d’aujourd’hui, en comparaison à celui des années 80, et basé en partie sur son expérience comme patron lors de son passage d’un média traditionnel (La Presse) à un média numérique (Le sac de chips). Ce roman inusité et audacieux m’a permis de découvrir une plume vive et incisive.
Résumé : Le succès sourit enfin au patron, quarante ans, fraîchement nommé à la tête d’un média numérique en plein essor. Ce père de famille hétéronormatif caucasien et marié a tout pour réussir… dans les années 1980. Malheureusement pour lui, ses employés sont presque tous nés au tournant du millénaire. Mais qui diable sont ces gens qui réclament des toilettes non genrées? Qui dirige vraiment cette salle de nouvelles, et pourquoi de violents incidents inexplicables frappent-ils soudainement des représentants de la génération X ?
Avant même de débuter la lecture de ce roman, je savais déjà que la plume d’Hugo Meunier allait me plaire, juste en lisant son introduction où il parle directement au lecteur. Extrait : « Enfin, ça se veut un livre drôle, alors avant de tourner la page au son de la fée Clochette, prière de laisser tes tergiversations polémistes sur la table de nuit. Va lire ça astheure. » Et le prologue m’a donné le ton du roman qui m’a plu d’emblée et m’a assuré que je passerais un excellent moment avec la verve insolente, irrévérencieuse et incisive d’Hugo Meunier.
«Bam! L’oreiller revole violemment contre le mur de la chambre obscure, accompagnée d’une pléthore de jurons.
— Ostie de câlisse de tabarnack d’esti de ciboire de crisse!
Une diarrhée verbale régurgitée dans l’unique but de susciter une réaction empathique….
Je pourrais me sentir mal d’avoir réveillé ma blonde, mais vingt ans de vie conjugale, ça tue les bonnes manières. De toute façon, pas question de ruminer mes malheurs tout seul dans mon coin. Si je passe une nuit de marde, elle aussi. »
Ce livre est du bonbon pour moi. Il contient tous les ingrédients et les éléments que j’adore dans un bon roman. Tout d’abord, l’histoire qui nous est racontée est intéressante, surprenante et surtout plus complexe qu’on ne le pense au départ, malgré l’avertissement que l’auteur nous fait dans les premières pages : « Si t’avais pas compris encore, ami(e) lecteur (trice), ben c’est ça qui explique l’insomnie de notre héros. Je te le souligne juste pour cette fois par contre. Parce que si tu as déjà du mal à suivre, tu devrais peut-être mettre fin à ta lecture, car des rhapsodies à la subtilité sont prévues plus loin. » Également, on s’aperçoit que ce n’est pas une histoire, mais deux histoires que l’on suit en parallèle. Soit celle aujourd’hui et une autre à la fin des années 80. Pourquoi ? Comment ? Dans quel but ? vous verrez. Je n’en dis pas plus, mais laissez-vous aller à fond avec ces personnages plus grands que nature, pour certains, dans cet univers journalistique des plus palpitants.
Ensuite, ce que j’adore, c’est que c’est rempli de références à des événements réels, avec des personnalités connues, si bien qu’on a l’impression que cela n’est pas de la fiction et en plus, on se remémore à peu près tout ce qui s’est passé dans les années 80, en matière d’événements qui ont été couverts par les journalistes à l’époque. De mélanger le réel et la fiction, cela me plait toujours dans les romans.
Puis, il y a cette verve vive, incisive, et cet humour mordant et à peine exagéré (hihi), que l’on retrouve dans le personnage de ce patron qui n’y va pas avec le dos de la cuillère lorsqu’il parle de cette nouvelle génération de « journalistes » à la recherche du plus grand nombre de clics, qui sont plutôt des « Producteurs Éditorialistes Recherchistes Spécialités En Visuels Et Récits Écosystémiques, les fameux PERSEVERE, un modèle de plus en plus répandu dans les nouveaux médias. ». Je me suis bidonné à chaque page, avec cette plume insolente et irrévérencieuse qui tourne en ridicule et rigole franchement des travers des jeunes d’aujourd’hui, mais aussi des gens dans les années 80, qui n’étaient pas vraiment mieux.
Également, j’adore voir ces comparaisons entre la vie d’aujourd’hui et d’il y a trente ans. Ce n’est pas si loin, la fin des années 80, et pourtant, il y a eu des changements énormes dans les mentalités, pas seulement dans les technologies: L’émancipation des femmes, le harcèlement sexuel au travail, le droit à l’avortement, la façon de couvrir les événements, les relations patron-employé, la vie familiale. Bref, il n’y avait pas que les téléphones et les jeux vidéo qui étaient différents, il y a trente ans. Et ce fut un réel plaisir de faire les comparaisons dans un même chapitre, en suivant deux histoires, dont on se demande jusqu’à la fin quel est le lien qui les unit.
Finalement, j’adore les revirements de situations que l’on ne voit pas venir du tout! C’est tellement intense que l’auteur a jugé bon de faire un intermède au milieu de son roman, pour nous permettre de reprendre notre souffle. « Avoue que tu ne l’avais pas vue venir celle-là, pas du tout même.» Naturellement, je ne vendrai pas les punchs et je vais vous laisser surprendre par ce roman que je considère comme un de mes préférés à vie !
L’auteur a même pris la peine d’aider les critiques pour parler de son livre : « J’ai donc pris l’initiative, amie lectrice, de fournir moi-même quelques pistes de solutions aux futurs critiques embêtés… voici un palmarès de dix citations offertes gratuitement à l’intention des critiques déstabilisés… mais sans pression aucune, évidemment. » Je tiens à préciser que je n’ai pas opté pour une de ces gratuités.
Maintenant, la barre est haute, pour Hugo Meunier, de créer un deuxième roman à la hauteur de celui-ci. Mais avec sa plume aussi aiguisée, je suis certaine qu’il va y parvenir.
Note : Je me dois de souligner la superbe page couverture qui m’a donné le goût de lire ce livre. Mais surtout, après la lecture, je comprends toutes les subtilités que l’on retrouve dans cette image versus l’histoire qui est racontée.
Diplômé en littérature, Hugo Meunier s’est spécialisé en journalisme d’immersion. On a pu le voir dans les deux saisons de l’émission 21 jours, diffusée à TV5. Il a également été journaliste à La Presse pendant une dizaine d’années, puis directeur productions et contenus numériques chez Québecor Média. Il est actuellement reporter chez URBANIA. Le Patron est son premier roman.
Date de parution : 2 octobre 2019
Sujet : Littérature québécoise
Nombre de pages : 376 pages
Prix : 27,95 $
Éditions Stanké