Le pianiste Lucas Debargue a joué devant une foule considérable, ce dimanche (19 janvier), à la Maison symphonique, alors qu’un froid mordant tenaillait Montréal. Parmi les centaines de mélomanes remplissant presque le parterre de la Maison symphonique, plusieurs venaient découvrir en chair et en os, ce musicien dont on n’a pas cessé de parler, depuis sa participation au Concours international Tchaikovski.
Survol de trois siècles de musique
Quelques mois après la parution très médiatisée de son coffret consacré à Domenico Scarlatti (1685-1757), le pianiste ouvre son concert avec six sonates de ce compositeur qui en a écrit plus de 550. Déjà sur disque, on peut observer que la démarche de Debargue est loin de celle d’un Horowitz qui fait de ces sonates de petits bijoux soigneusement polis. De son côté, le jeune artiste français en tire une matière non domestiquée; il souligne des contrastes, crée des climats, puis les renverse.
Par exemple, dans la K. 206, la délicatesse du début fera place à une expression de souffrance, alors que le jeu de la main gauche évoque avec puissance le tragique. Debargue ose une grande diversité d’atmosphères et il explore dans chaque sonate de multiples émotions qui, dépendamment des points de vue, se contredisent, ou se complètent. Fascinant ! Cela donne le goût de compléter l’expérience en se procurant son coffret de 52 sonates de Scarlatti publié chez Sony.
Puis, on fait un saut de deux siècles qui nous amène à Gaspard de la Nuit. C’est avec cette oeuvre de Maurice Ravel (1875-1937) que Debargue a soulevé l’enthousiasme au Concours Tchaïkovski à Moscou, en 2015. Déchaînements au clavier, puis enchaînements tout en douceur, on comprend pourquoi certains qualifient cette interprétation de pyrotechnique et d’autres d’expressionnisme sauvage. Qu’on aime ou non sa personnalité musicale, ce pianiste ne laisse personne indifférent. Rappelons que Debargue avait aussi joué Gaspard de la Nuit et des sonates de Scarlatti, lors de son premier concert à Montréal, en 2017.
Une âme russe
Après l’entracte, place à la Sonate op. 22 de Nikolaï Medtner (1880-1951). Au bout des doigts de Debargue émane un chant toujours clair, baigné d’atmosphères dont le côté lugubre est accentué par les silences. Habité par ce compositeur russe, joué sans partition comme tout le concert, le pianiste nous entraîne dans un moment musical si fort, qu’on a envie de prêter oreille à d’autres oeuvres de ce contemporain de Rachmaninov.
Fulgurant !
Pour terminer : Après une lecture de Dante de Franz Liszt (1811-1886). Une fois de plus, ce pianiste atypique bouscule ! Là où plusieurs interprètes étirent le temps, Debargue, lui, le précipite. Les accords suivis d’un silence sont, en quelque sorte, arrachés au clavier. Cette pièce d’une vingtaine de minutes devient un voyage teinté d’inquiétude et de fulgurance !
Lucas Debargue
Programme :
Domenico Scarlatti, Sonates
K6, fa majeur in F Major
K438, fa majeur in F Major
K206 , mi majeur in E Major
K27, si mineur in B Minor
K14, sol majeur in G Major
K115, do mineur in C Minor
Maurice Ravel, Gaspard de la nuit
Entracte
Nikolai Medtner, Sonate in sol mineur op. 22
Franz Liszt, Après une lecture de Dante : Fantasia quasi Sonata, S.161
Au rappel : Sonate K.32 de Scarlatti et une Toccata de sa composition
Maison symphonique
19 janvier 2020
Crédit photo : Felix Broede