C’est un spectacle à la fois poétique et très physique que présente Sébastien Ricard, dans le cadre du Festival international de la littérature. Rêve et folie, mis en scène par Brigitte Haentjens, nous entraîne dans l’univers du poète tourmenté Georg Trakl, dont les envolées hallucinatoires rappellent celles d’un certain Arthur Rimbaud. Les images fortes abondent dans ce poème et le comédien les exprime avec son corps qu’il s’agisse de spasmes, de cris d’animaux ou de tapotements en écho à la pluie qui tombe.
Ombre et lumière
Bien que peu connu chez nous, Georg Trakl est considéré comme un poète majeur du XXe siècle. L’artiste austro-hongrois est décédé, en 1914, à l’âge de 27 ans. Il laisse derrière lui une œuvre brève mais «hors norme, extrême et vertigineuse» selon Brigitte Haentjens, qui a choisi de se limiter à un seul poème. «Avec ses mots, il compose une œuvre violemment lyrique, guidée par l’urgence de dire, lacérée d’ombres et de lumières.»
Même si le monde de Trakl est dominé par la souffrance, le brouillard n’y est pas opaque. Un envoûtant jeu d’ombres et de lumières se renouvelle d’ailleurs durant tout le spectacle, à travers les images du cinéaste Karl Lemieux. L’environnement sonore de Roger Tellier-Craig contribue lui aussi à cette beauté empreinte de tristesse et d’étrangeté.
À certains moments, Sébastien Ricard incarne avec de longs spasmes la souffrance du poète décédé d’une surdose de cocaïne. Mais d’où venait ce mal de vivre de Trakl ? On dit qu’il avait une mère froide qui s’occupait très peu de ses enfants. L’homme avait développé une relation qualifiée d’incestueuse avec sa soeur. Enfin, il se serait senti incapable d’être à la hauteur d’un père trop parfait. Chose certaine, l’évocation de la famille n’a rien de réjouissant dans cet extrait de Rêve et folie.
«Au soir, le père devint un vieillard; dans d’obscures chambres se pétrifia le visage de la mère, et sur le fils pesait la malédiction d’une race dégénérée. Il se rappelait parfois son enfance remplie de maladies, d’effrois et de ténèbres, ses jeux secrets au jardin des étoiles, ou les rats qu’il nourrissait dans la cour crépusculaire. D’un miroir azuré surgit l’étroite silhouette de sa sœur, puis il s’écroula comme mort dans l’obscurité.»
Très loin des sages récitals de poésie où l’on tourne tranquillement les pages des livres, Rêve et folie se nourrit d’une énergie digne de certains spectacles rock, grâce à la longue expérience de Ricard développée en partie au sein du groupe Loco Locass. C’est vivant du début à la fin, à travers la gestuelle du comédien et la variété de ses intonations, combinées à la vidéo et l’environnement sonore. Recommandé pour tous ceux qui aiment la poésie, y compris les néophytes !
Le fantôme de L’homme rapaillé
Le spectacle d’une durée de 35 minutes est suivi d’une discussions avec les artistes. C’est à ce moment que Brigitte Haentjens a raconté comment elle a décidé de monter Rêve et folie. «J’étais dans une librairie à Paris et je venais de découvrir un recueil de poésie de Trakl. Au moment de payer, j’aperçois derrière le comptoir un livre de Gaston Miron que je demande à voir. Le libraire me répond : «Ça madame, ce n’est pas à vendre !»
Puis, sans explication, monsieur se ravise et glisse dans le sac de sa cliente la copie dédicacée du bouquin de Miron ! Trakl et Miron se retrouvent alors dans le même sac ! Brigitte Haentjens y a vu une incitation a faire découvrir ce poète au pays de L’homme rapaillé. On remercie et félicite le FIL d’organiser pareilles rencontres entre le public et les artistes.
Rêve et folie / Texte : Georg Trakl
Mise en scène : Brigitte Haentjens / Interprétation : Sébastien Ricard
Vidéo : Karl Lemieux / Environnement sonore : Roger Tellier-Craig
À la cinquième salle de la Place des Arts, dans le cadre du Festival International de la Littérature (FIL)
27 septembre à 19h
Le Festival international de la littérature se poursuit jusqu’au 3 octobre 2021 en divers lieux à Montréal.