Non seulement Jacques Michel a écrit plusieurs classiques de la chanson québécoise, mais il a toujours la voix et l’énergie pour les interpréter, à l’âge de 80 ans. En plus de vivre dans les mémoires de plusieurs générations, Amène-toi chez nous, Pas besoin de frapper pour entrer, Un nouveau jour va se lever ont toutes connu une renaissance, grâce à de nouveaux interprètes. Puis, juste avant la pandémie, Jacques Michel lançait l’album Tenir, remarquablement mordant ! L’auteur-compositeur-interprète puise donc dans son vaste répertoire de plus d’un demi-siècle pour offrir un spectacle de plus de deux heures sans entracte. Entrevue avec un rebelle gentleman.
Les plus jeunes ont peut-être découvert Amène-toi chez nous, à travers l’interprétation de Fred Pellerin. Mais, presque 50 ans auparavant, c’est avec cette même chanson que Jacques Michel remportait le Grand Prix du Festival de Spa en Belgique, en 1970. L’année suivante, le musicien de Sainte-Agnès-de-Bellecombe (lieu aujourd’hui annexé à Rouyn-Noranda) obtenait le second prix au Festival international de la chanson populaire de Tokyo avec Un nouveau jour va se lever. Toute une génération de jeunes québécois allait découvrir ce titre, au début des années 2000, grâce à Wilfred Le Bouthillier et Star Académie.
Sylvain Cossette, Nicole Martin, Pauline Julien, ainsi que les Français Gérard Lenorman et Isabelle Aubret font partie de la liste notable des interprètes de Jacques Michel. «J’ai été chanceux!», dit l’octogénaire en évoquant la passion de ces interprètes et en remerciant la vie pour l’inspiration. «Nous sommes quelques chanceux à avoir écrit des chansons qu’on pourrait qualifier d’immortelles. Raymond Lévesque et Jean-Pierre Ferland, entre autres, ont aussi eu cette chance.»
L’auteur de Chacun son refrain se réjouit aussi du fait qu’on ait continué d’écouter ses chansons, malgré son éclipse de 30 ans, lui qui avait pour ainsi dira cessé de chanter dans les années 80. «C’était une période creuse pour la chanson québécoise, un peu comme aujourd’hui. La radio ne nous aidait pas. On s’intéressait plus ou moins aux créateurs d’ici. » Était-ce lié à la désillusion entraînée par les résultats du premier référendum sur la souveraineté du Québec ?
À l’écoute de la jeunesse
Notre époque n’est pas facile non plus pour bien des chanteurs québécois reconnaît le vétéran. «En plus, aujourd’hui, on a son casque d’écoute pour ne pas déranger les autres. Ça ne favorise pas les échanges ! À l’époque on écoutait des disques ensemble; toute la maisonnée découvrait en même temps ! C’est sans doute pour cela qu’il y a de jeunes gens dans mes salles, Ils ont dû écouter mes chansons quand leurs parents leurs en ont mis plein les haut-parleurs!»
D’autre part, ce chanteur à la diction remarquable se désole que les paroles de tant de chansons d’aujourd’hui se perdent sous la musique. «Si on a des choses à dire, c’est important qu’on puisse comprendre, Pour cela, il faut aussi articuler ! Enfin, chaque génération a ses façons de faire.»
Il souligne son admiration pour Roxane Bruneau et Vincent Vallières : «deux artistes de talent qui ont des choses à dire et qui savent utiliser les médias sociaux. » Jacques Michel, lui-même, qui a plusieurs nouvelles chansons à offrir, n’exclut pas de les rendre disponibles en ligne, si la mise en marché d’un nouvel album s’avère trop ardue.
Le rêve du pays
Sur son album Tenir, paru en 2019, la chanson-titre parle des espoirs souverainistes québécois : «Nous désirions par-dessus tout / Posséder un pays rien qu’à nous… Malgré nos blessures et nos pertes / Garder notre esprit de conquête / Et refuser de disparaître… Il nous faudra par-dessus tout / Tenir, tenir, tenir»
Après deux référendums perdus, y croyez-vous toujours ? «Je ne désespère pas. Rien n’est perdu, tant que tout n’a pas été essayé et je crois que nous n’avons pas encore tout essayé. Si ça n’arrive pas on est un peuple mort et moi j’ai pas envie de voir mourir mon fils ! J’ai pas envie de voir se concrétiser la triste histoire de la chanson Mommy de Marc Gélinas ! Chacun de nous doit faire en sorte que notre culture et notre langue restent vivantes. Cela dit, je me demande pourquoi nous réagissons si peu ! J’ai l’impression qu’après notre révolution tranquille, on est en train de glisser vers une résignation tranquille.»
Le mot en «n»
Éternel observateur de la scène politique internationale, il renoue avec la cinglante Vodka Cola, qu’il estime toujours d’actualité, plus de 40 ans après sa création: «Ghetto blanc ou bien ghetto noir / On est tous nègres face au pouvoir». Et pas question de supprimer le mot controversé ! «C’est comme si l’usage de ce mot signifiait qu’on est raciste, alors que ma chanson exprime tout le contraire ! On n’ose plus émettre des opinions ! On a peur, on se tait, mais le silence nous tue. Il faut briser ce silence qui s’impose à travers une sorte d’uniforminsation de la pensée !»
La musique et l’amour
Heureux de reprendre la route, Jacques Michel aura présenté une trentaine de fois le spectacle Tenir, dont la tournée se terminera au Grand Théâtre de Québec, en janvier (2022). Il fait équipe avec les multi-instrumentistes Jean-Luc Huet et Joseph Perreault, ainsi que le sonorisateur Alexandre Fallu.
Cela dit, sa conjointe des 30 dernières années, Louise Vaillancourt a un statut tout à fait particulier dans cette aventure. «Elle est ma maquilleuse, ma coiffeuse, mon habilleuse et j’en passe. Louise a aussi un côté nutritionniste. Puis, c’est elle qui conduit la voiture, les jours de spectacle, car ce sont des moments où j’ai trop la tête ailleurs!» Leur rencontre avait d’ailleurs amené le chanteur à déménager dans la région de Québec, au début des années 90, pour se rapprocher de son âme soeur. Depuis cette époque, le couple vit à l’Île d’Orléans.
Pourquoi la «dernière» tournée ?
Puisque notre homme est en forme et que sa voix ne change pas, puisqu’il continue d’écrire des chansons, pourquoi tire-t-il sa révérence ? «Parce que je ne supporterais pas de présenter un spectacle qui ne serait pas à la hauteur ! Avoir des trous de mémoire sur scène, par exemple, me rendrait très malheureux !»
Bien sûr, on lui rappelle souvent que le géant Aznavour a chanté longtemps après ses 80 ans. «C’est vrai ! Mais, vers la fin de sa vie, sa voix n’était plus tout à fait la même. Il devait parfois s’asseoir. Mais, bon, tout cela lui appartient. Pour ma part, je sais qu’au Québec le délai entre les tournées des chanteurs est d’au moins 4 ans. J’aurais donc près de 85 ans ! Je ne suis pas sûr que je pourrais performer comme maintenant et je ne veux pas prendre un tel risque!»
Que voudriez-vous qu’on retienne de vous ?
«Nous avons tous un modèle. Pour ma part, c’est un oncle frondeur et insolent qui m’a appris à revendiquer mes droits et à exprimer mes vérités, même quand elles risquent de déplaire. Il m’a aussi appris qu’on doit toujours essayer de s’améliorer. J’espère que mes chansons aideront à transmettre ces valeurs d’honnêteté, en encourageant les gens à changer la société pour la rendre plus juste.»
Vous qui avez écrit plus de 200 chansons, quelles sont vos préférées ? Amène-toi chez nous, bien sûr et je dirais aussi Odyssée. Cette pièce de l’album Tenir raconte la longue route de cet artiste dont la lumière n’est pas près de s’éteindre : «J’ai cheminé longtemps et j’n’ai pas fini / Je prendrai d’autres formes, d’autres tunnels, d’autres chemins / La route est perpétuelle, le voyage est sans fin».
Jacques Michel / Tenir
À Montréal : au Gesù, le 21 novembre 2021
À Québec : au Grand Théâtre, le 15 janvier 2022
En tournée au Québec jusqu’en janvier prochain