Emmanuel Schwartz et Céline Bonnier sont pour la première fois réunis sur une scène théâtrale. Les deux acteurs chevronnés incarnent les principaux personnages de la pièce Quand nous nous serons suffisamment torturés du dramaturge britannique Martin Crimp, traduite et mise en scène par Christian Lapointe. Le ton est à la confrontation. Les éclats de voix se multiplient. Le public semble pris à partie. Mais qui torture qui ?
Quand nous nous serons suffisamment torturés est adaptée du roman Pamela ou la vertu récompensée de Samuel Richardson paru en 1740. Crimp raconte l’histoire d’une servante séquestrée par son patron après qu’elle eut refusé ses avances. Lui voudra l’épouser. Mais, elle, que veut-elle, en fait ? Son bourreau lui tend un téléphone pour appeler au secours; elle n’en fait rien.
Comme c’est généralement le cas lorsqu’il s’agit de relations homme-femme, c’est d’abord l’homme qui est blâmé, comme si l’on connaissait tout de la question des rapports de domination. L’histoire est conçue pour qu’il soit condamné d’emblée. C’est lui qui la séquestre. C’est sur lui que reposent tous les problèmes, bien sûr ! Après tout, la toxicité n’est-elle pas exclusivement masculine ?
Le brillant Schwartz donne d’ailleurs vie à un inquiétant bourreau à la voix souvent tonitruante ! De son côté, Bonnier est terrifiante en future mariée, hache à la main ! Quels comédiens électrisants ! Quel duo explosif !
Elle l’accuse de trop parler. Il s’emporte et se fait menaçant quand elle lui tourne le dos. Elle prétend savoir mieux que lui comment un homme doit se comporter. Il désapprouve ses écrits et finit par lui dicter un texte. Chacun des protagonistes tente de contrôler l’autre dans ce qui devient une suite de duels parfois féroces. Lise Castonguay et Laura Côté-Bilodeau se greffent à certaines scènes de ce spectacle sombre et tendu d’une durée de deux heures.
La mise en scène de Christian Lapointe est rehaussée par des projections saisissantes ! On a trouvé un moyen redoutable d’accentuer la peur, le dégoût, la lassitude et la haine qui se lisent sur les visages. Les protagonistes sont filmés sous divers angles qui apparaissent sur un écran transparent à l’avant de la scène. Cette intégration vidéo, signée Lionel Arnould et Dominique Hawry est réussie et devient une qualité esthétique majeure du spectacle.
Il faut aussi souligner que les personnages se retrouvent sur un plateau de cinéma, pour faire allusion, bien entendu, aux nombreux abus dénoncés depuis l’affaire Harvey Weinstein.
Se renouveler
Ce spectacle basé sur un texte écrit il y a près de 300 ans s’intéresse à l’homme comme agresseur et à la femme comme victime. Dans cette pièce, comme dans bien d’autres oeuvres de fiction, l’homme est essentiellement celui qui domine et assouvit ses bas instincts. Il en serait ainsi depuis toujours.
Pas plus compliquée que ça la psychologie masculine ? Vraiment ? Alors, pourquoi le taux de suicide est-il trois fois plus élevé chez les hommes que chez les femmes au Québec ? Si on approfondissait un peu ce sujet, peut-être déboucherait-on sur des questions inexplorées, plutôt que de jouer les justiciers.
On veut s’intéresser aux relations homme-femme ? À quand une pièce sur les véritables raisons du décrochage scolaire des jeunes québécois ? Pourquoi les hommes sont-ils devenus si rares dans le domaine de l’enseignement ? La disparition progressive des jeunes hommes des hautes sphères du savoir ne serait-elle que le fruit du hasard ? Les créateurs de théâtre disent vouloir se renouveler. Ce ne sont pas les sujets qui manquent.
Mise en garde
Préoccupée par les réactions possibles des spectateurs de Quand nous nous serons suffisamment torturés, la direction du théâtre Prospero lance d’ailleurs un «traumavertissement» aux spectateurs : «Veuillez noter que cette pièce aborde de nombreux sujets qui pourraient être offensants pour certaines personnes.»
Quand nous nous serons suffisamment torturés / 12 variations sur Pamela de Samuel Richardson
Texte : Martin Crimp / Traduction et mise en scène : Christian Lapointe
Avec : Céline Bonnier, Emmanuel Schwartz, Lise Castonguay, Laura Côté-Bilodeau
Décor et accessoires : Claire Renaud / Intégration vidéo : Lionel Arnould, Dominique Hawry
Au théâtre Prospero : du 15 février au 5 mars 2022
Durée : 2 heures