Le public a parlé d’une voix forte hier soir à l’occasion de la première montréalaise de Patrick Bruel en acoustique au Théâtre Saint-Denis.
Dense, exaltée, survoltée même, dès que la silhouette de l’homme à la veille de ses 63 ans est apparue en ombre chinoise, coffre de guitare à la main, la foule a apposé son sceau. Pourtant tout ne faisait que commencer!
Sa jeunesse
Assis avec son instrument, rappel des boîtes à chansons d’un autre siècle, Patrick Bruel a parti le bal avec cette tendre chanson, Et moi je chante… « Je ne sais faire que ça je chante, De tout mon désespoir je chante, je suis heureux ». Loin du concert dans lequel les chansons défilent, ce créateur incontournable offre un spectacle intelligent où il se raconte sur le fil conducteur qu’est sa jeunesse. Puis, de Barbara qu’il connaît profondément pour avoir tourné avec Bruel chante Barbara, il s’attaquera à Où sont les rêves.
Cette voix si reconnaissable, si grisante avec ses aspérités, qui vous décroche 1000 émotions, épate encore plus avec la maturité de l’homme. Elle est aussi un indicateur de son hypersensibilité. Il avouera que le trac y est toujours malgré cette longue carrière sur scène. Puis, on le sent jauger son public, l’approcher tout doucement au fil des chansons qui se déplaceront au piano, puis en accompagnement avec deux autres musiciens tantôt à la basse, à la guitare, au clavier ou au tambour. Le mouvement perpétuel sur scène est subtil, harmonieux et élégant.
Le pouls du public
Puis arrive ce point tournant où il tient dans le creux de sa main ce public prêt à s’abandonner, accroché à son rêve à lui, résolu à chanter les paroles dès qu’il s’arrête, ponctué de cris d’admiratrices, souvent debout en pâmoison. Dans ce décor épuré où les éclairages empruntent la couleur des émotions de chaque chanson, où il a ouvert la porte par laquelle il est entré, c’est maintenant nous qui sommes happés dans le pays magique de Bruel : hors du temps, transcendant les soucis et même l’interminable pandémie qui nous a assailli et l’a rendu malade et seul en 2020. Je ne sais pas si c’est de cette longue absence d’artistes sur scène que surgit un public si affamé, mais je n’ai jamais vu une telle fusion se produire.
Au pays de Bruel
Au pays de Bruel, il y a bien entendu ces grands titres comme Qui a le droit, Place des grands hommes pour laquelle il explique les circonstances réelles qui donnent naissance à « On s’était dit rendez-vous dans 10 ans, Même jour, même heure, même pommes, On verra quand on aura 30 ans, Sur les marches de la place des grands hommes ». Bruel est drôle. Bruel fait du rap. Du Pierre Lapointe avec l’émouvante Arrête de sourire sur fond d’accordéon. Sur la triste On partira, plaidoyer pour les enfants de la guerre, il tournera le dos au public, le temps de voir surgir le drapeau de l’Ukraine. Et sur le même thème, sa reprise de Quand les hommes vivront d’amour de Raymond Levesque, plongé dans le noir, il nous convaincra que nous serons alors tous morts. Larmes.
Mais il nous fera aussi valser deux par deux avec notre voisin.e d’à-côté et nous tenir debout pour Le Café des Délices. Et il nous fera découvrir des perles cachées.
L’humanité
Il y a tant et tant à dire sur la profonde humanité de ce spectacle et la vérité que l’artiste dégage. Un grand moment qui réconcilie et fait du bien.
Puis il y a la fin que la foule qui a roucoulé pendant deux heures ne souhaite pas et qui surprend. En rappel, de retour des coulisses, a cappella, il entonnera l’hymne de Barbara, Ma plus belle histoire d’amour c’est vous jusqu’à ce que l’accordéon prenne le pas. Après cela, ce Bruel si généreux, restera debout, immobile, humble, ému et silencieux, s’offrant pendant un long moment au délire des centaines de personnes, avant de repartir coffre de guitare à la main.
Patrick Bruel en acoustique est en tournée dans tout le Québec.