En apercevant la silhouette de Patrick Bruel marchant vers l’avant-scène, guitare collée au corps, au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts, le public québécois fébrile est déjà gagné à ce Français qui fait presque partie des meubles ici. Bien que la veille il ait présenté son spectacle Bruel chante Barbara à St-Eustache, c’est Montréal qui fait la Première.
Puis, installé sur un banc, seul avec sa guitare, en toute humilité, comme à l’époque des boîtes à chansons, il brisera la glace avec la jolie, Du bout des lèvres. Au fur à mesure que les paroles d’Une petite cantate résonneront, les quatre musiciens s’avanceront qui de la salle, qui du côté cour, qui du côté jardin, saxophone, guitare, contrebasse et piano, chacun jouant plus d’un instrument en cours de route, et viendront se mêler à la voix éraillée, familière et rassurante de l’artiste venu tourner chez les cousins à l’occasion de neuf représentations auprès de ce Québec qui « défend si bien la chanson française. Merci d’être là », dira-t-il.
Ce spectacle, qu’il a rôdé au quart de tour depuis la sortie du CD éponyme en 2015, est loin d’être une liste des poésies de ce monument féminin de la chanson française qu’il récite pendant deux heures et 15 minutes, sans entracte. Le créateur sensible qu’est Bruel s’est plutôt mis à l’oeuvre et a tôt fait de nous happer dans cet univers riche et irrésistible, fabriqué sur mesure et donnant à Barbara une nouvelle peau, un effet collagène réussi du début à la fin.
Bruel chante Barbara est un spectacle théâtral qui s’appuie sur une histoire, un trio, celui de Barbara, de Bruel et de sa propre mère qui l’a initié à Barbara alors qu’il était enfant. Bruel passe par l’artiste parisienne pour retrouver ses souvenirs d’enfance et pour reprendre contact avec sa mère.
Il raconte tout au long de son passage sur scène les circonstances de sa rencontre avec celle qui aura acquiescé à sa demande de chanter Madame qu’elle n’avait pas fait depuis 8 ans. Sa chanson préférée de Barbara. Il la fera pour nous bien sûr. Mais aussi aux enseignements qu’il a reçu de sa mère sur les artistes marquants comme Reggiani, les Beatles et combien d’autres.
Dans ses interprétations et ses orchestrations, l’artiste va au-delà de l’atmosphère Barbara, il injecte sa vibration, puissante, passionnée, contemporaine, toute masculine mais toujours sobre et sans trahir l’esprit, comme dans Parce que (je t’aime) où des pointes de heavy metal se font entendre (oui Barbara et le heavy metal!) ou Perlimpinpin dont le propos est très actuel, habillé de musique alternative. Ça marche! C’est la tristesse et le drame vus autrement. Et pourquoi pas! Le monde a changé, il faut changer avec le monde ou disparaître. Et où le décor de gigantesques pans de tissus mobiles et leurs éclairages deviennent des personnages.
Car loin de vouloir imiter, l’homme de 57 ans fait revivre Barbara pour ne pas qu’on l’oublie certes, pour la faire connaître aux plus jeunes bien entendu, pour rejoindre son enfance aussi, mais encore, Barbara pour Bruel devient également une façon d’exprimer son ardeur et sa maturité comme artiste. Un artiste accompli et généreux qui pianote, gratte de la guitare, compose, écrit, crée, et fait l’acteur. Je connaissais Bruel au cinéma, et je ne l’avais vu qu’à l’occasion d’émissions de variété, mais dans ce spectacle, on prend toute la mesure du créateur.
Avec Bruel chante Barbara, on est loin des tubes et des auditoriums de 20 000 spectateurs. Ici on fait dans la nuance, dans l’humanité, les téléphones cellulaires au repos, un deux heures et des poussières de grande écoute pour tenter de trouver des moments de vérité dans les paroles qui résonnent. Bruel a d’ailleurs manifesté sa gratitude face à ce moment solennel que le public québécois lui a offert : une salle noire sans la lumière bleue des textos.
Il entonnera Drouot célèbre à Paris pour ses enchères, Mon enfance, Gottingen, Marienbad, Vienne, Pantin, Il pleut sur Nantes, L’Aigle noir, Ma plus belle histoire d’amour, Alfred T d’Alfred De Musset qu’il a mis en musique, les meilleures de la grande Barbara, sous un éclairage Bruel, mais aussi entre autres de son cru, Qui a le droit. En fait, Bruel semblait tant s’amuser à être en présence de ce public sage et pas si triste malgré Barbara, qu’il a cédé à tous les rappels et en a même rajouté en faisant Dis quand reviendras-tu devant une Diane Dufresne très émue, spectatrice dans la salle ce soir-là et avec qui il avait partagé la chanson à l’émission de Pénélope quelques jours auparavant.
Bruel chante Barbara nous apparaît être ce rêve grandiose que le Patrick en question a réalisé, convaincant, convaincu et authentique. À voir absolument et si vous êtes triste, vous en sortirez heureux!
18-04-2017 – Gatineau – Maison de la culture de Gatineau – 20h00
19-04-2017 – Trois-Rivières – Salle J.-Antonio-Thompson – 20h00
20-04-2017 – Brossard – L’Étoile Banque Nationale – 20h00
21-04-2017 – Sherbrooke – Centre culturel de l’U.de Sherbrooke – 20h00
Date supplémentaire le 22 avril à Montréal !