Alys Robi, première star québécoise de renommée internationale, aurait eu 100 ans, en 2023. Sa vie a inspiré plusieurs artistes et son vertigineux parcours continue de nous fasciner. Bien après son ascension jusqu’aux portes du paradis Hollywoodien, toute une génération a découvert celle que Luc Plamondon qualifie de «reine des années 40» dans la chanson Alys en cinémascope, portée par la fulgurante interprétation de Diane Dufresne. Ensuite, il y a eu la mini-série télévisée Alys Robi et le film Ma vie en cinémascope réalisé par Denise Filiatrault, etc. Puisque les anniversaires sont des occasions de célébrer et aussi de se souvenir de ceux qu’on a aimé, voici quelques témoignages à la mémoire d’une étoile qui n’est pas près de s’éteindre!
Le rêve américain
Née à Québec en 1923, Alice Robitaille n’a que 13 ans lorsqu’elle est engagée au Théâtre national, à Montréal, dans la troupe de Rose Ouellette, alias «la Poune». En quelques années, la jeune artiste fait ses classes auprès de vedettes du burlesque, dont Juliette Petrie, Manda Parent et Olivier Guimond, avec qui elle aura une relation amoureuse.
Puis, durant la Seconde Guerre mondiale, la jeune femme connaît une ascension spectaculaire en faisant découvrir le répertoire latino-américain aux Canadiens. Entre autres, elle connaît un succès monstre avec sa traduction française de Tico-tico popularisée par Carmen Miranda. Le conte de fée se poursuit avec Besame mucho et Amour (Amor!) adaptées par Jean Lalonde.
À la même époque, la rencontre du chef d’orchestre Lucio Agostini sera marquante. C’est auprès de ce musicien dont elle tombe amoureuse que la Québécoise brillera à la radio torontoise, à compter de 1944, dans diverses émissions dont «Latin American Serenade».
Ce succès a des échos jusqu’à New York où on l’invite à la NBC, ce qui l’amènera à se produire dans des clubs de la Grosse Pomme dont le Copacabana et le Blue Angel (1), avant de traverser l’Atlantique et de chanter à Londres, notamment sur les ondes de la BBC (2).
En 1945, après quelques mois passés au Mexique, Alys Robi croit être sur le point de réaliser l’un de ses plus grands rêves, lorsque la Metro Goldwin Mayer l’invite à tourner un essai (screen test) sur un plateau hollywoodien (3). Que s’est-il passé ensuite? Pourquoi tout s’est arrêté en 1948 ? Certains parlent d’une commotion cérébrale subie lors d’un accident de voiture. Cela n’a apparemment jamais été clarifié (4).
Ce qui est documenté, cependant, c’est qu’à son retour au Québec, Alys Robi s’est retrouvée à l’hôpital psychiatrique Saint-Michel-Archange (aujourd’hui l’Institut Universitaire en santé mentale de Québec), un asile où elle restera enfermée jusqu’en 1953.
Même si elle a alors perdu sa popularité, en plus d’être dénigrée à cause de ses problèmes de santé mentale, elle réussit à remonter lentement la pente, au point d’être de nouveau adulée et de se produire à guichet fermés, entre autres, à la Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts, en 1995.
Les nuits de Montréal
La renaissance inattendue d’Alys Robi est en elle-même une histoire inouïe! Son passage réussi à La Rose Rouge, un club gay de Montréal, à la fin des années 1960, aura grandement aidé la dame à conquérir progressivement le milieu gay, au cours des années 1970.
Pour sa part, Daniel Matte qui s’est fait connaître comme attaché de presse de Michel Tremblay, a contribué à sa façon au retour d’Alys.
Dans les années 1980, Monsieur Matte et ses associés ont présenté une série de spectacles visant à faire revivre «Les nuits de Montréal», au Club Soda, alors situé sur l’avenue du Parc. Évidemment, on a invité madame Robi qui a triomphé devant une mémorable brochette de personnalités, dont Luc Plamondon, Monique Leyrac, Gilles Pelletier, Paul Berval, Jacques Normand et Gilles Vigneault. Ce dernier a alors déclaré au sujet d’Alys Robi: «Vous savez, c’est elle qui m’a donné le goût de faire ce métier.» (5).
Pas de fausse modestie !
Comment était Alys Robi loin des caméras ? «Ce que j’aimais particulièrement d’elle, c’est qu’elle n’avait pas de fausse modestie», souligne Daniel Matte. «Par exemple, quand nous allions au restaurant et que l’hôtesse et les serveurs ne semblaient pas la reconnaître, elle me disait : «Monsieur Matte ! Voulez-vous leur dire qui je suis!». Elle savait qui elle avait été et elle voulait être traitée en conséquence.»
Elle m’a inspiré, ajoute l’homme jovial à l’esprit vif: «Elle m’a rappelé qu’on pouvait voir grand! Ça m’a aidé car, en tant qu’attaché de presse, c’est clair qu’il fallait viser plus haut que la page B 14!»
Ambiguïté québécoise
Daniel Matte a aussi invité Alys Robi chez-lui pour qu’elle rencontre l’éditrice des éditions Leméac et le journaliste Jean Beaunoyer, en vue d’une biographie que ce dernier a publié, en 1994, sous le titre Fleur d’Alys. Même si la chanteuse se montrait sûre d’elle, «elle m’a demandé si elle devait garder son chapeau pour la rencontre, un peu comme si elle allait passer une entrevue! Je lui ai dit, vous faites comme vous voulez madame, vous n’avez rien à prouver!»
Malgré les apparences, cette diva de la première heure semblait être d’une grande fragilité intérieure. D’ailleurs, monsieur Matte se souvient avoir reçu un coup de fil inattendu d’Alys Robi, de nombreuses années plus tard. «Il devait être 22 heures. Elle a d’abord dit qu’elle s’était trompée de numéro puis, nous avons parlé durant deux heures! Je crois qu’elle était très seule et qu’elle s’ennuyait. En fait, j’ai eu l’impression qu’elle n’était heureuse que lorsqu’elle travaillait.»
Daniel Matte a aussi été étonné par l’attitude de la dame, quand elle était interviewée à la télé. «Qu’elle réponde aux questions de Jean-Luc Mongrain ou de Janette Bertrand, elle ne regardait pas l’intervieweur; elle s’adressait directement à la caméra, comme si elle voulait parler au public sans intermédiaire.»
En plus d’incarner divers paradoxes, Alys Robi aura aussi symbolisé l’ambiguïté québécoise. À ce sujet, Jean Beaunoyer souligne que la chanteuse adorait l’Angleterre et portait avec fierté le titre de Lady, alors que son prénom évoque la fleur de lys qui orne le drapeau du Québec, symbole de l’affirmation de la culture française en Amérique (6).
La mémoire du coeur
Pour toutes ces raisons, sans doute, Alys Robi est encore bien présente dans nos mémoires. Dès les premiers accords de la chanson Alys en cinémascope, c’est toute une époque de notre histoire qui renaît : «Au Mocambo Quand tu chantais tico tico tico Les nuits de Montréal valaient bien celles de la place Pigalle».
Et puis, il y a cette murale géante (voir photo d’accueil) que des milliers de piétons et d’automobilistes voient tous les jours, à proximité du Pont Jacques-Cartier, non loin du Théâtre National où tout a commencé pour Alys. On y a inscrit quelques mots qui rappellent la chanson Laissez-moi encore chanter; ce tube signé Alain Morisod et Jean-Jacques Egli a d’ailleurs largement contribué à la renaissance de la première star du Québec.
Cela dit, en fait-on assez pour honorer la mémoire de cette pionnière ? «On pourrait associer le nom d’Alys Robi, entre autres, à un organisme dédié à la santé mentale», estime monsieur Matte. Quoi qu’il en soit, le temps fait son oeuvre et le public n’oublie pas ceux qui ont su le toucher au cœur, selon l’attaché de presse expérimenté: «Il y a plein de récipiendaires du prix Goncourt dont on ne se souvient pas, alors qu’on continue de lire d’autres écrivains qui n’ont pas reçu cet honneur.»
Puisque 2023 ne fait que commencer, peut-on encore espérer une commémoration de l’oeuvre d’Alys? Au Gala de l’ADISQ? Ce centième anniversaire serait une bonne occasion de se souvenir de madame Robi en lui disant merci! Après tout, la gratitude et la mémoire ne vont-t-elles pas de pair, un peur comme un Rhum et Coca-Cola !
Alys Robi née Marie Alice Albertine Robitaille le 3 février 1923 à Québec
et morte le 28 mai 2011 à Montréal
Références