Laurence Lebel a réuni une douzaine d’artistes pour faire revivre les chansons de sa mère, Renée Martel, à travers les voix de Tire le coyote, Les soeurs Boulay, Gab Bouchard, Ingrid St-Pierre, Elliott Maginot, etc. Même si elle n’est pas musicienne, Laurence a oeuvré dans l’industrie musicale durant une quinzaine d’années et elle savait ce qu’elle voulait pour rendre hommage à celle qu’on a surnommé «la reine du country».
Un peu plus d’un an après la mort de cette dernière, ses grands succès sont repris dans différents styles allant jusqu’au grunge. Rencontre avec la directrice artistique de ce projet ambitieux qu’elle voit comme «un dialogue» entre sa mère et une nouvelle génération d’artistes.
Renée Martel n’a pas écrit beaucoup de chansons mais, il est évident que ses interprétations en français de succès anglophones ont marqué plusieurs générations de Québécois. On l’a connue dès son enfance, puisqu’elle chantait déjà avec son père, Marcel Martel, icône du country de chez nous. Renée s’est aussi entourée de paroliers ou de traducteurs qui ont trouvé les mots pour exprimer sa grande résilience et ses rêves. C’est tout ce riche héritage qu’on célèbre aujourd’hui.
Sur la pochette de C’est notre histoire – à Renée Martel, on voit Laurence, toute petite, sur une plage avec sa mère.
«Cette photo a été prise au Maroc dans les années 1980, mais j’étais trop jeune pour me souvenir de ce moment.»
Par contre, elle a toujours en tête de nombreux souvenirs avec maman Martel qui est restée attentive, jusqu’à la fin de sa vie, aux nouvelles voix qui émergeaient.
«Le tout dernier chanteur que je lui ai fait découvrir, c’est Étienne Coppée. Elle avait été tellement émue de l’entendre!»
Coppée est d’ailleurs l’un des invités sur cet album, où il reprend Nos jeux d’enfants dans une interprétation tout en retenue, alors que les choeurs apportent une nouvelle dimension à la chanson.
De leur côté, Les soeurs Boulay font revivre la Cowgirl dorée sur un ton tristounet, porté par des harmonies vocales à vous donner des frissons et des claviers qui évoquent l’immensité d’un ciel étoilé. Lumineux!
Tire le coyote s’approprie Si on pouvait recommencer, sans la dénaturer. Dès les premières notes, sa voix qui évoque tant la fragilité, se fond au propos de ce refrain d’amoureux conciliant. Il prend aussi quelques libertés par rapport à la mélodie, sans trop s’en éloigner. Très réussi!
Je vais à Londres que Renée chantait sur un ton décidé est livrée comme une confidence par Ingrid St-Pierre et ça marche!
Une autre des trouvailles de l’album est cette version délicieusement pop et rétro de Quand un bateau passe avec Fanny Bloom qui y va d’élégants pa pa pa pa, sur des synthés planants! Irrésistible!
Il faut dire que le réalisateur de l’album, Pilou, est un multi-instrumentiste passionné qui aime amener ses collègues à se dépasser. Il a discuté avec les interprètes, en avançant certaines suggestions sur l’orientation artistique de chaque pièce, sans chercher à imposer une direction. «Par exemple, avec Ariane Roy, non seulement Le bateau du bonheur est devenu grunge, mais au cours de nos discussions, on a trouvé de nouveaux accords pour cette chanson.»
Résolument country, Gab Bouchard est plutôt nonchalant sur Un amour qui ne veut pas mourir. Darling n’est pas à son meilleur avec Saratoga. De son côté, Antoine Corriveau offre une relecture très (trop?) lente de À demain my darling. Quant à Elliott Maginot, il ne tire pas pleinement profit des atouts de Mon roman d’amour qui devient, ici, une ballade plutôt terne. Que voulez-vous… on ne peut pas tout aimer!
Cela dit, cet opus de 44 minutes et des poussières porte la griffe du talentueux Pilou. Dès l’intro de la première chanson du disque, il fait renaître instantanément l’esprit de Liverpool, en jouant la mélodie à la guitare, sur des sonorités synthétisées d’aujourd’hui. Avec sa voix juvénile, Alexe Gaudreault nous entraîne dans cet univers cinématographique où «Des fumées d’usine coiffent la ville d’ocre, de rouge et de violet.» Envoûtant!
Pilou lui-même reprend C’est mon histoire, sur un rythme qui vous fera onduler des hanches. Pour terminer, il y ajoute «c’est notre histoire», des mots qui résument judicieusement l’héritage de Renée pour ses nombreux admirateurs.
Alors que les albums hommage sont parfois disparates et réunissent des artistes plus ou moins impliqués, ce n’est pas le cas ici. De grandes émotions habitent ce disque et la direction artistique de Laurence Lebel y est pour beaucoup : «C’est la chose la plus intense émotionnellement que j’ai accomplie dans ma vie. Ça s’inscrit à 100% dans mon processus de deuil! C’est une grande chance de pouvoir faire son deuil à travers la musique!»
En résumé, C’est notre histoire est un passionnant voyage dans les univers pop et country de Renée Martel.
Le choix des interprètes et des chansons qui leurs sont attribuées, ainsi que la richesse des arrangements, en font un témoignage de grande valeur, à la mémoire d’une artiste qui a contribué à faire briller la chanson québécoise durant plus de 50 ans.
C’est notre histoire – à Renée Martel
En formats CD, vinyle et numérique
Productions Martin Leclerc, 2023