Des marionettes de taille presque humaine sont à l’honneur dans la pièce de Robert Lepage, Courville, où un adolescent élevé en banlieue de Québec découvre douloureusement ses origines, durant la tumultueuse époque des années 1970. Visuellement, le spectacle est impressionnant! En un basculement de plateau, on passe du sous-sol du bungalow familial à la piscine de cette municipalité anoblie par la magnificence de la chute Montmorency.
Des projections soignées nous entraînent tour à tour dans le cimetière et les rues de cette ancienne ville qui a depuis ce temps été intégrée à Beauport. Au coeur de l’action, le comédien Olivier Normand prête sa voix à tous les personnages, en plus d’être le narrateur d’une histoire aux chemins tortueux.
Inspiré d’un art japonais
En pleine crise d’adolescence, Simon est bouleversé par la mort récente de celui qu’il croyait être son père. À son tourment, s’ajoute le fait qu’un oncle envahissant est de plus en plus présent auprès de sa mère. Le jeune homme est d’ailleurs à couteaux tirés avec sa génitrice au passé nébuleux. Plus encore, l’adolescent est tiraillé entre l’affection qu’a pour lui son amie Sophie et l’attirance qu’il éprouve pour le physique sculptural du sauveteur de la piscine municipale.
Évidemment, l’éveil à la sexualité est au rendez-vous. C’est d’ailleurs ce qui a amené Robert Lepage a éviter de faire interpréter ses personnages par des humains. En s’inspirant ainsi de l’art traditionnel japonais du bunraku, pour cette incursion dans l’univers de l’adolescence, il évacue les problèmes de rectitude morale.
Cela dit, les marionnettes de Jean-Guy White et Céline White ont une indéniable dimension poétique, mais elles n’arrivent pas toujours à exprimer le tumulte intérieur qu’on devine chez les héros de ce drame. Plus encore, le fait que le même comédien prête sa voix à chacun des personnages, aux côtés de trois marionnettistes, ne tarde pas à créer une certaine confusion. On se prend parfois à se demander, mais qui parle au juste?
Courville souffre cependant d’irritants encore plus dommageables ! C’est que Lepage emprunte une multitude d’à-côtés pour situer l’époque de son protagoniste. Non seulement il nous rappelle qu’en 1976, ce fut l’élection du tout premier gouvernement péquiste, mais il souligne aussi, (photo à l’appui!), que la Tour du CN a été inaugurée, durant cette même année, à Toronto qui déclassa alors Montréal comme métropole canadienne. Comme si ce n’était pas suffisant, il nous remémore la guerre froide, symbolisée par un match de hockey opposant le Canada et l’URSS.
À ce «cours d’histoire» s’ajoutent de nombreuses digressions dont un macabre résumé de ce qu’est une autopsie (!) et des explications sur les raisons pour lesquelles les chevreuils figent devant les phares des autos et autres véhicules motorisés. Passer par autant de détours s’avère étourdissant !
Le tout se déroule dans une scénographie époustouflante où l’environnement visuel se renouvelle continuellement grâce, entre autres, à la conception et la réalisation des images de Félix Fradet-Faguy. Pareil savoir-faire mérite certainement d’être applaudi. Par contre, samedi soir (16 septembre), un problème technique a entraîné une brève interruption de la représentation. Bien souvent, il n’en faut pas plus pour briser la magie.
Le public du TNM m’a paru plus ou moins attentif à ce spectacle dense de près de deux heures. Cela contraste avec la qualité d’écoute qui régnait lors de la présentation de Courville à laquelle j’ai assisté au théâtre Le Diamant, en 2021, quelques semaines après la création de cette pièce. Robert Lepage était alors le narrateur et prêtait sa voix aux personnages. Le public de la Vieille Capitale était suspendu à ses lèvres.
Quant aux spectateurs montréalais, savent-ils à quoi correspond le titre de ce spectacle? S’attendent-ils à y voir des marionnettes occuper la scène? Quoi qu’il en soit, malgré de remarquables prouesses techniques qui sont la marque de commerce d’Ex Machina et même si Olivier Normand s’avère d’une grande efficacité, Courville ne m’apparaît pas comme un spectacle incontournable de Robert Lepage.
Courville
Texte, conception et mise en scène: Robert Lepage
Avec: Olivier Normand
Durée: 1h 55 sans entracte
Au Théâtre du Nouveau Monde, jusqu’au 13 octobre
*Photos fournies par le TNM