Au théâtre comme ailleurs, il est bien rare qu’on puisse parler d’une réussite sur toute la ligne! C’est pourtant le cas de la pièce Les Plouffe présentement à l’affiche au Théâtre Denise-Pelletier. La finesse de l’adaptation de l’oeuvre de Roger Lemelin, la justesse de l’interprétation et l’intelligence de la mise en scène semblent couler de source. Les rêves et les drames des personnages de cette famille québécoise des années 1930 sont-ils si différents des nôtres? Chose certaine, ils nous transportent du rire aux larmes durant 2 heures 10 minutes où l’on ne voit pas le temps passer!
La cinquième vie des Plouffe
Grand classique de la culture québécoise, le roman Les Plouffe, publié par Roger Lemelin en 1948, raconte les hauts et les bas d’une famille ouvrière du quartier Saint-Sauveur à Québec, dans le sillage de la Grande Dépression et de la Seconde Guerre mondiale. Soumis au pouvoir de l’église tout en étant fascinés par la culture américaine, ces personnages ont des élans de nationalisme canadien-français maintes fois rabroués.
Quatorze comédiens dont Édith Arvisais, Robin-Joël Cool, Gaël Lane Lépine, Alice Moreault et Mary-Lee Picknell sont de cette remarquable production, créée en 2020 au Théâtre du Trident. C’est ainsi que les inoubliables Guillaume, Ovide, Napoléon, Cécile, Théophile et Joséphine montent pour la première fois sur une scène, après avoir fait l’objet d’un radioroman puis d’un téléroman dans les années 1950 à Radio-Canada, avant d’être portés au grand écran par Gilles Carles, en 1981.
La célèbre réplique «Y’a pas de place, nulle part, pour les Ovide Plouffe du monde entier!», lancée par Gabriel Arcand au cinéma, revit sur scène grâce à l’émouvant Renaud Lacelle-Bourdon qui navigue avec aisance entre moments douloureux et bouffonnerie. Rappelons qu’Ovide rêve de devenir chanteur… Le numéro où le pauvre homme interprète laborieusement des airs d’opéra est hilarant! Il faut voir la famille Plouffe tenter de dissimuler sa lassitude alors qu’Onésime (Vincent Fafard), lui, ne peut s’empêcher de roupiller!
La visite royale est un autre temps fort du spectacle. Tous décorent leurs maisons en l’honneur du passage du Roi d’Angleterre mais, le fougueux Théophile (Roger Léger) résiste! Papa Plouffe brave même le tenace curé Folbèche (Jacques Girard). Le ressentiment envers les Anglais est palpable également chez le jeune journaliste idéaliste Denis Boucher (Maxime Beauregard-Martin) qu’on a qualifié d’alter ego de Roger Lemelin.
Alors que l’attachant Napoléon (Jean-Michel Girouard) finit par trouver l’amour et que la dévouée Cécile (Frédérique Bradet) perd tragiquement son homme, voilà que le cadet des Plouffe, l’athlétique Guillaume (Alex Godbout) est recruté par l’armée canadienne qui l’envoie combattre en Europe.
Un décor ingénieux
Tout ce beau monde évolue dans un décor qui évoque la Basse-Ville et la Haute-Ville, grâce à une structure à deux paliers, avec escaliers et passerelles, encastrant la cuisine du modeste logement familial. Cette trouvaille permet à la metteure en scène Maryse Lapierre d’amener ses personnages en divers lieux, sans jamais confondre le spectateur.
Un portrait du matriarcat
Bref, la pièce est rythmée, pétillante et fidèle à la fresque historique de Lemelin. Ce dernier point est digne de mention car, depuis quelques années, au théâtre, on voit de nombreuses adaptations qui dénaturent les oeuvres. On essaie de faire dire aux auteurs des choses qu’ils n’ont pas écrites, pour tenter d’arrimer les classiques aux idées à la mode d’aujourd’hui. On félicite Isabelle Hubert de ne pas être tombée dans ce gouffre sans fond et de faire revivre les personnages de Lemelin sans les déformer.
D’ailleurs, celles et ceux qui prétendent que le matriarcat n’existe pas seront sans doute déstabilisés devant maman Plouffe! Marie-Ginette Guay est criante de vérité en mère manipulatrice qui n’hésite pas à recourir au chantage pour court-circuiter les amours de ses enfants ainsi que leurs projets de vie qu’elle ne voit pas d’un bon oeil. La reine du foyer n’épargne personne pour imposer ses lois sur son territoire.
La magie du théâtre
Avec deux bicyclettes et quelques accessoires, on réussit à nous faire voyager dans ce passé pas si lointain qui reflète d’importantes étapes du cheminement du peuple québécois. Grâce, entre autres, à l’environnement sonore de Viviane Audet, Robin-Joël Cool et Alexis Martín, on est transporté au lancer inaugural du match de baseball, au défilé royal dans les rues de Québec, etc. Bref, il n’y a pas de longueurs dans ce spectacle d’une durée pourtant considérable.
Trois quarts de siècle après leur création, Les Plouffe brûlent les planches! À ne pas manquer!
Les Plouffe
(D’après l’oeuvre de Roger Lemelin, avec emprunts à l’oeuvre cinématographique de Roger Lemelin et Gilles Carle)
Adaptation théâtrale: Isabelle Hubert
Mise en scène : Maryse Lapierre
Au Théâtre Denise-Pelletier, jusqu’au 21 octobre
*Photos fournies par le Théâtre Denise-Pelletier