Les parties 2 et 3 de l’adaptation par Angela Konrad du Vernon Subutex de l’auteure Virginie Despantes présentées à l’Usine C à Montréal souffrent d’un flagrant manque de moyens forçant des raccourcis, du discours moins souvent joué que rapporté, entre autres. Même les généreux apartés et les longs textes à lire (avec très peu de temps) au coeur de telle ou telle scène émouvante ne suffisent pas toujours à créer la géniale atmosphère de la première partie.
Car il est bien évident que de couper les vivres aux créateurs artistiques ne peut que forcer les comédiens à avancer sur un fil de fer au-dessus du vide. Le résultat final demeure encore d’intérêt, mais le décalage de moyens apparaît plus que manifeste.
Du lit des ébats amoureux au bivouac
Le grand lit du centre de la scène qui montrait l’amour physique comme exutoire au mal de vivre, cet espace commun aux lieux multiples, ce paradis de l’union et de la révélation de l’intimité a laissé place à un bivouac de fortune dans le parc des Buttes Chaumont si excentrées du cœur de Paris.
Autre chose impossible à comprendre pour le spectateur ne voyant que les parties 2 et 3, jouées sans entracte , sera la joie éclairante de voir, enfin, surgir l’incarnation et le son de la voix du fameux Alex Bleach dont on parle encore de ses cassettes volées puis retrouvées.
Charlie Hebdo et le Bataclan
Surgissent dans l’affabulation cruciale, avec leur horreur, les événements de Charlie Hebdo et du Bataclan, traumatismes centraux au drame des personnages paumés mais conviviaux.
Il faut savoir s’en rappeler de ces traumatismes.
L’effet de choc psychologique que subissent une société entière et chacun des personnages de l’entourage de Vernon (David Boutin) y est bien rendu.
Aphorismes et réflexions intérieures
Par contre, les aphorismes si beaux de la première partie se sont raréfiés, les phrases percutantes de jadis aussi, telles celles-ci:
- Personne n’a envie d’entendre parler du désir d’un vieillard.
- Je suis devenue la fille qui n’a jamais de copain!
- Pourquoi les gens s’acharnent à démolir?
- J’ai mal aux mâchoires à force de serrer les dents.
- Puisque c’est foutu, pourquoi pas s’éclater?
- Le gangbang c’était ce que ta mère faisait de mieux dans la vie, mon enfant!
- Les riches ne se comportent jamais en esclaves.
- Si je renonce à la violence, quand est-ce que je me sentirai maître?
- Réflexions intérieures et commentaire philosophique
Beaucoup plus absents ou en tout cas fort bien moins élaborés se trouvent les passages de réflexions intérieures, à l’origine narrativisés comme des rêveries nous plongeant, en première tranche, dans la riche psychologie de chaque personnage.
Avec une force considérable triomphe quand même le commentaire philosophique global de la pièce. La réflexion continue d’être saisissante surtout à propos des violences et vengeances sociales, politiques et policières.
La rage ultime des protagonistes devenait une conséquence logique en perspective, largement étayée ou éclairée par les discours dérangeants des protagonistes de l’exclusion, du rejet raciste et de la violence sexuelle fort bien illustrés durant la première partie de Vernon Subutex.
Il faudra jouer les parties 2 et 3 plus souvent
Il faut bien dire, à la décharge des comédiens, que la seconde et troisième parties ne sont pas jouées depuis bien longtemps. Elles ont encore besoin de rodage et d’un apport à imaginer, car on se demande sans cesse ceci: Mais qu’est-ce qui a bien pu être coupé ou amputé ici ou là?
Une connaissance minimale de la France et de Paris
Le spectateur qui ne verra que ces parties 2 et 3 (et pas préalablement la première partie) pourra se sentir largué.
Surtout s’il ne connaît rien du dixième arrondissement, du quartier de la rue Parmentier à Paris, lieux parcourus par les assassins tireurs, celui qui ne connaît pas les belles mais excentrées Buttes Chaumont en son site actuel de refuge des vagabonds, enfin une certaine francité est forcément essentielle à la compréhension des échanges dramatiques et de l’évolution des personnages.
À notre grande joie, plusieurs comédiens continuent avec effet positif de se démultiplier et fort brillamment en plusieurs rôles.
Un regard en fuite vers l’avenir en 2186
Vernon Subutex annoncera donc des siècles de futur bonheur et des évolutions sectaires qui laissent songeur en fin de pièce, car une fuite vers la transcendantale science-fiction au moment où nous voyons tout se déliter peut laisser songeur (et qu’en 2024 s’imposent les génocides s’amplifiant tout partout sur Terre). Le prologue fait un peu sourire mais doit être conforme à la bande-dessinée que je n’ai pas lue.
Ça signifie que le résultat final en leurs tableaux dramatiques est conforme au cri de détresse des comédiens et artistes que nous sommes allés appuyer jeudi 16 mai à 15h devant les bureaux du ministre. Ce ministre pitoyable qui n’a pas eu ce courage minimal d’être présent, je dirais la décence de faire acte de présence alors que les créateurs s’étaient déplacés à ses pieds.
Tout Ministre ou sous-ministre se croit-il au-dessus de la condition de ses administrés qui lancent un tel cri de désespoir et d’alarme?
Au moins, la future décapitée Marie-Antoinette avait eu l’idée légendaire qu’on puisse offrir du gâteau aux portes de Versailles aux importuns venus à sa fenêtre et qui manquaient de pain. Mais le dix-huitième siècle des philosophes avait un fond de coeur et il n’était pas le vingt-et-unième siècle des imposteurs politiques clabaudant partout d’hypocrisie ignorante surtout en matière de vitalité de la culture!
Interprétation : Paul Ahmarani, David Boutin, Anne-Marie Cadieux, Violette Chauveau, Samuël Côté, Philippe Cousineau, BlancheAlice Plante, Dominique Quesnel, Mounia Zahzam
Photo en accueil : capture Facebook
Lire la critique de la partie 1 de Vernon Subutex.
Vernon Subutex, partie 1: Fresque magistrale de nos sociétés dépressives en profonde détresse