La Maison symphonique était remplie, hier soir, pour la création du Requiem de François Dompierre, interprété par l’Orchestre Philharmonique et Chœur des Mélomanes, sous la direction de Francis Choinière. Le compositeur âgé de 80 ans est monté sur scène pour expliquer qu’il conçoit son requiem un peu comme une trame cinématographique où il exprime les sentiments humains, allant du deuil et la peur, jusqu’à l’allégresse et l’apaisement. Déjà en 2023, alors qu’il était en plein processus de création, l’artiste m’avait confié en entrevue que son oeuvre comporterait des surprises au niveau rythmique dont un Dies irae aux accents de rap. Parole tenue!
Pince-sans-rire, Dompierre lance d’entrée de jeu au public : «Ce n’est pas tous les jours qu’un individu a la chance d’assister de son vivant à ses propres funérailles!» L’homme qui aura 81 ans le 1er juillet ajoute qu’il portait son requiem en lui depuis longtemps, après avoir chanté, dans sa «prime jeunesse», des centaines de messes des défunts. Mais, comment mettre en musique, aujourd’hui, ces textes liturgiques d’une autre époque?
Cette création québécoise est-elle une oeuvre religieuse ou profane? Chose certaine, ce Requiem d’une cinquantaine de minutes a retenu l’attention de l’assistance du début à la fin et plusieurs chants ont été spontanément applaudis, au cours de la soirée.
Contrastes
Comme l’écrit Dompierre dans le programme du concert, la musique de l’Introït commence par une explosion sonore : quatre notes d’appel à distance de quarte augmentée (ou triton), l’intervalle jadis interdit, symbole du diable. C’est une mise en perspective du drame qui va se jouer.
Un premier contraste apparaît, alors qu’on passe au Kyrie, un hymne choral qui s’apparente à une lamentation sur un accompagnement discret des cordes.
Puis, on arrive au Dies Irae (« Jour de colère » en latin). Comment aborder ce thème après Mozart, Berlioz et Verdi?
Dompierre opte pour une mise en garde chuchotée qui évoquera pour certains le rap ou le slam! Les voix masculines personnifient le prophète David et la Sybille qui nous préviennent qu’un jour tout sera réduit en cendres. Le chœur féminin s’y superpose en exposant le thème du Dies Irae grégorien. Ce judicieux usage des voix et le fait qu’on chuchote, ajoute à la portée de ces paroles apocalyptiques, sans avoir à recourir à une orchestration tonitruante.
Le Lacrimosa est écrit exclusivement pour voix d’hommes. Un premier passage marqué par des cellules rythmiques irrégulières mouvementées (Confutatis) contraste avec un autre plutôt statique et d’une grande douceur (Lacrimosa).
Parmi les douze pièces du Requiem de Dompierre, le Recordare (Le souvenir et l’indulgence) est un véritable vers d’oreille que le public n’a d’ailleurs pas pu s’empêcher d’applaudir à tout rompre! Le ténor solo, Andrew Haji, en dialogue avec le choeur, interprète une mélodie d’espérance qui nous transporte dans un univers cinématographique, un peu comme si Andrea Bocelli interprétait When I Fall in Love (Young/Heyman) durant le générique d’un film.
Si le compositeur flirte avec le glam, cela ne l’empêche pas de créer de nombreux moments propices au recueillement dont le Benedictus. Cette prière d’adoration et de gratitude est interprétée par les solistes (Myriam Leblanc, soprano, Andrew Haji, ténor et Geoffroy Salvas, baryton). Le trio vocal est soutenu par un quatuor à cordes.
L’oeuvre se termine avec le chant du «In Paradisum» qui est souvent absent de la cérémonie des funérailles. Après avoir exprimé les craintes et les déchirements liés à la mort, Dompierre a voulu nous laisser sur une note sereine. Il évoque le paradis et le repos éternel à travers une mélodie accrocheuse qui s’apparente à une chanson populaire. Ce «happy end» a beaucoup plu à la foule qui s’est levée d’un bond pour une ovation qui s’est poursuivie durant plusieurs minutes.
On laissera à d’autres les tergiversations sur le choix des extraits de textes bibliques et autres considérations plus ou moins stériles. Le fait est qu’à travers son Requiem, Dompierre sait parler de la mort aux humains d’aujourd’hui, en dédramatisant en partie le sujet, sans l’édulcorer pour autant.
Un succès intergénérationnel
Il faut aussi souligner que ce succès est intergénérationnel, puisque c’est le jeune chef d’orchestre Francis Choinière qui a suggéré au compositeur d’écrire un requiem. On peut penser que cette proposition a joué un rôle important dans la réalisation de ce projet d’envergure, puisque monsieur Dompierre m’a aussi confié en entrevue qu’il avait déjà parlé de son intention d’écrire un requiem à un chef d’orchestre québécois bien connu; ce dernier lui avait toutefois recommandé de ne pas s’engager sur cette avenue. Heureusement, quelques années plus tard, la clairvoyance de Choinière qui n’a pas encore 30 ans, aura encouragé l’octogénaire à aller jusqu’au bout de ce rêve!
Cette création a d’ailleurs bénéficié de la direction d’un chef très investi et d’un choeur juste, en plus des solistes irréprochables: Leblanc, Haji et Salvas.
Le Requiem de Dompierre est présenté une deuxième fois, ce soir, à la Maison symphonique et il le sera également dimanche, 9 juin, à Québec, au Palais Montcalm. En première partie de ce concert, Francis Choinière dirige le Requiem de Fauré, en y faisant jaillir les riches nuances de cette oeuvre indémodable.
Requiem de Fauré et Dompierre
Avec l’Orchestre Philharmonique et Chœur des Mélomanes, Francis Choinière, chef
Solistes:
Myriam Leblanc, soprano, Andrew Haji, ténor et Geoffroy Salvas, baryton
-Maison symphonique, 8 juin, 19h 30 / Billets
-Palais Montcalm, 9 juin, 14h / Billets
*Crédit photo: Tam Photography