Trois ans et demi après sa dernière apparition en récital au célébrissime Ladies Morning Musical Club, ce haut-lieu musical montréalais qui depuis 1892 nous rassérène des meilleurs interprètes tous répertoires confondus, revoici le phénoménal pianiste américain George Li dans Schumann, Ravel et Stravinsky.
J’ai pensé honorer ce moment par un bref entretien exclusif avec ce poète et virtuose du clavier, remarqué et hautement distingué dans nos pages depuis son grand Concours Tchaïkovsky de Moscou en 2015 (médaillé d’argent), il y a déjà 9 ans.
Huit jours avant son arrivée, voici donc, en fragments épars, l’être charmant, cultivé, humble et réconfortant qui fait honneur à tout le milieu musical par sa sincère passion et sa profonde humanité cosmopolite.
L’entrevue, menée en anglais, résume ici les sujets d’intérêt pour un jeune virtuose ambitieux d’imiter ce grand talent qu’est George Li. Quoique la version anglaise de l’entrevue est aussi disponible en ligne, ce dialogue s’inspire, par l’universalité des thèmes abordés durant notre échange entre mélomanes.
Je l’ai conçue d’un simple désir d’esquisser fidèlement un modeste portrait d’un jeune mais très grand artiste exemplaire. George Li fait partie d’un groupe très sélect de mûres figures musicales ascendantes toutes jeunes femmes ou jeunes hommes magistralement doués.
Un programme diversifié, énergisant, évocateur
Le programme de George Li à la salle Oscar Peterson (Université Concordia, campus Loyola, Montréal Ouest, puisque la Salle Pollack de l’Université McGill est en pleine rénovation) offrira en entier le programme de son disque tout neuf sous étiquette Warner lancé il y a quelques jours et qui sera disponible à l’entracte le jour du récital.
En voici les oeuvres: Robert SCHUMANN (1810-1856) Arabeske in do majeur Op. 18 (1839), les Davidsbündlertänze ou Les danses de David opus 6 (1837), de Maurice RAVEL (1875–1937) Valses nobles et sentimentales (1911), et d’Igor STRAVINSKY (1882-1971) Trois mouvements de Petrouchka (1921).
ENTREVUE
J’ai rejoint George Li à sa résidence de Boston, en fin d’après-midi, vendredi le 20 septembre 2024. N’ayant que 7 or 8 questions précises à poser à l’artiste, j’en donne le juste libellé ici avant de rapporter le sens des réponses offertes par M. Li.
Éric Sabourin : Dans le monde actuel de l’interprétation en piano classique, quels conseils offririez-vous, disons trois recommandations sincères, aidant tout jeune virtuose talentueux qui ambitionnerait d’atteindre fructueusement à la renommée?
George Li : Premièrement, du point de vue de la nécessité d’une solide croissance personnelle et aussi pour une meilleure compréhension de l’humanité en nous tous, notre condition humaine tout autant que l’atteinte de la connaissance des œuvres musicales par exemple celles de compositeurs tels Schumann, Beethoven ou Liszt, il faut se plonger dans le contexte historique et artistique.
On doit découvrir les aspirations musicales fondamentales et l’intention qui motivaient ces compositeurs et leur époque. Il faut donc lire beaucoup pour percevoir avec clarté la période historique de ces créations. Il faut aussi lire les œuvres littéraires marquantes de l’époque.
Deuxièmement, au bénéfice direct de toute carrière bien menée, les réseaux sociaux importent beaucoup. Même si j’ai des réserves sérieuses quand à leur teneur ou profusion en ce qui a trait à leur usage, il faut s’en servir adroitement pour faire fleurir sa carrière. Il faut y faire valoir ses réussites et hauts faits.
Troisièmement, comme pianiste, je conseillerais d’élargir l’ouïe en ses perceptions par une écoute attentive d’une foule de musiques différentes (jazz, blues) absolument tout y compris l’étendue de toute la musique populaire actuelle. Une véritable perfection de sa propre audition, voire de sa propre production sonore, s’affineront.
Éric Sabourin : De combien de temps disposez-vous, pour vous-même, une fois revenu à la maison de tant de déplacements, en tant que soliste de stature internationale une fois terminées vos obligations professionnelles, pour vaquer à vos propres passe-temps?
George Li : Peut-être une semaine par mois tout au plus si on les cumule ensemble (donc 7 jours fragmentés).
Éric Sabourin : Étant donné que vous jouez abondamment de par toute la Terre, comment supportez-vous les incessants déplacements, la vie de résidence dans des hôtels, les escales incessantes d’un aéroport à l’autre?
George Li : Je m’impose avec discipline une routine d’exercices, de sport, le sommeil est fondamental, crucial et je lis énormément.
Éric Sabourin : Que dites-vous de la nécessité de pratiquer quotidiennement et aussi de ne pas trop pratiquer jusqu’à l’épuisement?
George Li : Voilà un sujet d’une importance capitale. Cette nécessité incontournable de pratiquer peut apparaître monumentale, surtout quand on perçoit bien l’étendue astronomique du répertoire pour piano à découvrir, à explorer, à acquérir, enfin c’est gigantesque.
Durant la saison estivale que chacun souhaite plus calme un peu, j’essaie sensiblement d’explorer du nouveau répertoire. En ce qui a trait à ma méthode d’approcher la pratique quotidienne du piano, j’ai divisé cela en un bloc de 3 ou 4 heures à répéter les défis ou détails difficiles de chaque œuvre que je programme, puis une période de 2 heures pour explorer et lire de nouvelles partitions.
Éric Sabourin : De combien de programmes entiers, achevés, mémorisés parfaitement, disposez-vous, toujours prêts à être exécutés à tout instant?
George Li : Entièrement prêts à tout moment? Je dirais 3 à 4 programmes complets de récital.
Éric Sabourin : Combien de concertos pour piano et orchestre connaissez-vous à fond et figurant dans votre répertoire actif et pouvant être joués au pied levé pour remplacer un collègue absent sur instruction de votre agence d’artiste?
George Li : Je dirais que parmi 30 concertos différents qui sont affichés à mon répertoire, il y en a 15 que je peux jouer à tout moment, dès à présent, puisqu’ils figurent à mon répertoire.
Éric Sabourin : Parmi ceux-là, pourriez-vous, pour me donner une idée de l’exploit, ne m’en nommer que sept, bien familiers, toujours frais et dispos à votre mémoire ou présents à l’esprit dans leurs moindres détails que le public entendrait d’emblée?
George Li : Les concertos numéros deux et trois de Rachmaninoff, ses Variations sur un Thème de Paganini, le premier concerto de Tchaikovsky bien entendu, le second concerto de Camille Saint-Saens, le premier concerto de Chopin, puis les quatrième et cinquième concertos de Beethoven.
Éric Sabourin : Par curiosité, selon votre goût, j’aimerais connaître le nom de 5 pianistes vivants ou décédés qui, s’ils donnaient un récital à un « mile » de distance de chez vous – quitte à devoir le courir à bout de souffle l’estomac dans les talons, vous motiveraient à vous déplacer subito presto?
George Li : Martha Argerich, tout d’abord parce que son jeu d’autrefois et d’aujourd’hui a toujours été intéressant et évolue de manière fascinante comme sa version récente de la troisième sonate de Chopin, ensuite Alfred Cortot (décédé), Svjatoslv Richter (décédé), Maria Joao Pires, et, bien entendu, Vladimir Horowitz (décédé).
Je dois conclure de ce bref entretien, à la lumière de cette ultime réponse, que je suis saisi par l’évidence suivante: cette liste d’interprètes admirés, ici à un tel degré, par George Li, incarne essentiellement ses propres qualités d’artiste.
On y distingue le son vigoureux émanant de son toucher apte à surprendre, la chaleur, la couleur, l’aisance technique, la finesse de son expression musicale d’ensemble en concerto, l’intensité du contrôle de chaque doigt doté d’une personnalité propre, d’une sonorité empreinte de vitalité, de fraîcheur, un jaillissement perpétuel, en somme, de cette sereine joie de vivre en grande musique.