Première ou pas, il faut toujours savoir se rendre à l’Opéra comme si c’était la toute première fois, y ouvrir grands ses yeux comme un enfant ébloui et retenir son souffle. Il y avait du monde heureux de sortir, samedi soir 28 septembre dernier, afin de remplir d’une atmosphère de fête, tant les connaisseurs que les fervents, la salle Wilfrid-Pelletier. L’enceinte débordait de jeunes abonnés nouvellement passionnés et chacun paraissait dispos et souriant sous ses meilleurs atours même les novices.
Deux cents ans de divertissement
Né un 17 décembre 1821, ce Barbier de Séville de Rossini exige une unité par ses ressorts, non pas nécessairement de grands décors grandioses, mais du rythme et de la subtilité. Si les enregistrements célèbres offrent toujours des plateaux vocaux d’exception, on n’a besoin que de cette efficacité théâtrale et de solides voix fiables pour emporter l’adhésion du public.
La mécanique efficace de Beaumarchais sous Rossini
La version du Barbier de Séville présentée à l’Opéra de Montréal est en fait une production originelle du Canadian Opera Company de Toronto, le chef de file au Canada. Cette production a déjà pris l’affiche à Bordeaux, à Houston et je ne sais où en Australie avec des artistes différents dans tous ses rôles célèbres.
Sobre mais divertissant
Si les décors de cette production sont sobres ainsi que les costumes d’époque sans être aveuglément somptueux de velours ou de galons scintillants, c’était une Espagne reconstruite sans fer forgé esquissant le fameux escalier, côté jardin, menant vers un logis et ce beau balcon d’oiselle chantante, une conquête à faire dans cette Séville bien imaginaire du Barbier. À notre grande joie, l’histoire a de quoi distraire du monde belliciste qui nous harcèle au quotidien de bien mauvaises nouvelles aux antipodes de l’Amour. Et samedi soir, le divertissement était probant et bienvenu.
Solides voix dans les rôles principaux
On sait bien que la très jolie Rosine (Pascale Spinney) ne veut en rien épouser son geôlier jaloux et possessif l’extraordinaire Omar Montanari (dans le rôle de Bartholo). Elle veut plutôt découvrir le visage porteur de cette belle voix mâle (Alasdair Kent au rôle du comte Almaviva) lui ayant chanté, des abords de son balcon, cette attrayante sérénade. Le comte a la voix un peu vacillante vu (le temps de chauffe) l’émotion des premières déclarations de cette initiale sérénade en ses vocalises si difficiles. Cette voix serrée d’émotion le quittera par la suite pour reprendre la vigueur de l’assurance. Le comte trouva la voix de Rosine tout aussi émue. Pascale Spinney a une voix chaude, gracieuse, une diction parfaite: son aisance dans Una voce poco fa fut le moment de sa révélation dans le calme rassurant d’un toujours angoissant soir de Première.
Rires fusant de partout, vive la comédie!
Entré tout premier en scène, la prometteuse voix de Fiorello était celle de Mikelis Rogers œuvrant au sein de l’essentiel Atelier lyrique. Au delà de tous, dès son entrée en scène, la grande voix virtuose d’Hugo Laporte dans ce désopilant rôle de Figaro assurait une suite de drôleries et de quiproquos. Vocalisant avec aisance ses ruses par lesquelles s’enlacent les uns aux autres les séduisants airs acclamés, soulignons son duo avec Rosine connu sous Dunque io son! Et même dans les endroits les plus extrêmes du registre, il fut plus que dégourdi.
Prise de rôle
L’amusant Basilio joué par le très apprécié Gianluca Margheri, en prise de rôle, déployait une aisance scénique admirable notamment dans l’air de La calumnia è un venticello. Le rôle extrêmement secondaire de Berta fut chanté avec talent par Bridget Esler.
Le comique indispensable assure ce succès
Comme tout est mis en œuvre pour assoupir la méfiance de Bartolo, la limpidité des fraudes doit toujours continuer de faire sourire avec les déplacements en pirouettes et voltiges appropriées. Hourras, bravos, houleuse impatience d’exprimer son émotion, tout y fut malgré la modestie ou l’humilité efficace des décors.
Quand sourdent coloris, espaces et lumière
À souligner quelques moments visuels: notamment cet arbre majestueux en fleurs pourpres et violettes faisant songer aux jacarandas printaniers d’une lointaine Argentine où s’acclame aussi les plus grands opéras du répertoire amoureux. L’espace de jeu fut doublé voire triplé, côté cour, par ce piano-clavecin métamorphosé en tribune ou scène digne de la Comedia del arte en son vaste couvercle pastel devenant érubescent aux heures d’allusion à l’amour et la musique, deux domaines de rêveries qui vont toujours heureusement ensemble.
Acclamations méritées
En fin de représentation on a pu reconnaître dans l’ordre d’occurrence quelques personnalités dont le souriant Claude Webster qui prépara le chœur de l’Opéra saluant de l’entourage viril et étincelant de ses chanteurs, puis les metteurs en scène Joan Font et Xevi Dorca (chorégraphies),vint ensuite le chef circonstanciel de l’orchestre Métropolitain Pedro Halffter et, j’ai dû apercevoir, au travers des salves d’applaudissements qui jaillissaient sans relâche, Joan Guillen (costumes et scénographie).
N.B. : Est passé sous les éclatantes ou aveuglantes lumières de la rampe, l’Officier de l’Ordre public de cet opéra, en ce grand talent, discret samedi soir, mais à surveiller, que deviendra, un jour de consécration, Jamal Al Titi.
Vivien Gaumand
Salle Wilfrid-Pelletier jusqu’au 6 octobre