On ne présente plus Wajdi Mouawad, qui contribue à faire rayonner le théâtre québécois au-delà de ses frontières. Écrite et jouée de 2006 à 2012, Assoiffés se donne un nouveau souffle au Théâtre Denise-Pelletier, avec une mise en scène éclatée, parfois à limite de l’absurde, qui tantôt, nous confronte au marasme de la jeunesse, tantôt nous perd dans ses dédales scénographiques.
C’est l’histoire d’un suicide ? Plutôt de l’enquête engagée suite à la découverte de deux adolescents retrouvés enlacés au fond de l’eau. Non plus… alors, c’est le cri d’une jeunesse qui se perd, ou qui est déjà perdue ? Mais elle résiste cette jeunesse ! Elle parle – mon dieu qu’elle parle – elle sacre, elle critique, elle revendique, elle proteste, elle remet en question, elle doute et au final… elle constate : elle constate que la beauté du monde disparaît pour laisser place à la laideur et ses ravages : solitude, incompréhension, régression : « J’ai soif, soif d’infini, soif d’inspiration (…) », martèle Murdoch.
Passé les premiers instants d’incertitude, la prémisse est acceptée : l’action se déroule dans une sorte de rêve, une représentation fantasmagorique du souvenir que Boon (solide Francis La Haye) a de son adolescence. Il se souvient de Murdoch (surprenant Philippe Thibault-Denis) et de sa disparition quinze plus tôt ; le hasard n’étant jamais si hasardeux, c’est à lui en tant qu’anthropologue judiciaire, que revient la délicate mission d’identifier les deux corps.
Boon raconte donc l’histoire de Murdoch, 17 ans, au langage très fleuri et aux monologues puissants. C’est ce qui le définit, il parle, parle et parle avec beaucoup de colère pour exister, sinon, il disparaîtrait. Il raconte aussi l’histoire de Norvège (Rachel Graton), qui sent la laideur grandir en elle sous forme de pieuvre ; la jeune fille finira par se mutiler pour s’en débarrasser.
L’auteur reprend les grands thèmes qui ont fait sa renommée, soient la signification de notre présence dans le monde, dans la vie et les conflits intergénérationnels : le clivage entre l’adolescent en quête perpétuelle d’un objectif de vie concret et l’adulte, profondément ancré et imperturbable dans son quotidien insignifiant.
De ce fait, la mise en scène prend le parti de la jeunesse au travers une cacophonie de sons, de musique organique, de danses, d’effets visuels. Là où personnellement, je me questionne davantage, c’est sur le ton donné à la mise en scène, qui mêle de manière assez saccadée les registres comique et dramatique. Ainsi, les rires provoqués par des gestes, répliques et mimiques – parfaitement assumés au demeurant – nous font décrocher du propos principal.
Je comprends la pieuvre, parfaite allégorie d’un mal qui se diffuse insidieusement, dans les entrailles de Norvège, la rongeant au plus profond de son être ; je comprends les masques qui sont tout ce qu’il reste, une fois la beauté disparue. Mais pourquoi les pas de danse exagérés et les onomatopées forcées ?
Une mise en scène débalancée donc, qui trouve sa subtilité dans les non-dits et dans la performance de ses comédiens, dont le jeu, à défaut d’être nuancé, est habité.
Assoiffés est présenté jusqu’au 25 février, au Théâtre Denise-Pelletier
Texte WAJDI MOUAWAD
Mise en scène et collaboration au texte BENOÎT VERMEULEN
Interprètes RACHEL GRATON, FRANCIS LA HAYE, PHILIPPE THIBAULT-DENIS
Durée du spectacle
1 h 20 sans entracte
Photo: Philippe Thibault-Denis, Rachel Graton
Crédit photo : Jean-Charles Labarre