La rentrée montréalaise sera marquée par la création d’un nouvel opéra. Le prolifique guitariste et compositeur montréalais Tim Brady s’associe à Chants libres et Le Vivier pour présenter en grande première : «Backstage at Carnegie Hall : un opéra sur le racisme et la guitare électrique». L’histoire est inspirée de la vie du guitariste de jazz Charlie Christian (1916-1942). Le livret de la canadienne Audrey Dwyer remonte jusqu’à l’âge d’or du club de nuit montréalais Rockhead’s Paradise qui était situé à l’angle de St-Antoine et de la Montagne. Entrevue avec Brady, le compositeur.
Backstage at Carnegie Hall nous transporte d’abord en décembre 1939, dans les coulisses du Carnegie Hall, quelques minutes avant la prestation de Charlie Christian et du Benny Goodman Sextet. Pour une première fois, un guitariste noir et un clarinettiste blanc partagent la scène.
«À ce moment, Charlie subit une crise d’angoisse qui le fait voyager dans le temps», raconte Tim Brady. Évidemment, nous avons inventé cette crise et toute l’histoire du voyage pour pouvoir parler du racisme systémique qui sévissait depuis longtemps déjà à cette époque. Nous n’aurions pas pu écrire un opéra entier basé sur des faits réels, car il existe très peu de documentation sur la vie personnelle de Charlie Christian».
Même si le rôle de Christian est interprété par le ténor Ruben Brutus qui n’est pas guitariste, Brady souligne que «toute l’histoire de la guitare électrique est référencée dans la partition. D’ailleurs cet instrument s’agence très bien aux voix chantées«», estime le compositeur qui sera lui-même guitariste durant ce spectacle réunissant cinq chanteurs dans une mise en scène de Cherissa Richards. L’oeuvre a été développée en collaboration avec le Black Theatre Workshop de Montréal.
De père en fils
En plus de sa fascination pour la guitare et le génie de Christian, ce qui a poussé Brady à vouloir créer cette oeuvre, ce sont des témoignages de son papa Frank Brady aujourd’hui décédé. «À l’époque où mon père était étudiant en droit, il a eu un «job d’été» aux services frontaliers canadiens, en 1946 et 1947. Il a travaillé, entre autres, à traiter les demandes de permis des artistes américains qui venaient présenter des spectacles au Rockhead’s Paradise. Ces musiciens obtenaient le droit d’entrer au Canada, mais mon père m’a raconté à quel point le racisme était bien encré à Montréal où certains faisaient tout pour compliquer la vie à ces visiteurs noirs.»
Les grands noms du jazz ce sont pourtant produits dans cette boîte de nuit selon le site Mémoire des Montréalais qui mentionne, entre autres, Cab Calloway, Louis Armstrong, Sarah Vaughan, Ella Fitzgerald, Billie Holiday et Sammy Davis Jr. On y précise aussi que Rufus Nathaniel Rockhead est devenu en 1928 le premier propriétaire noir d’un club à Montréal et que son établissement a connu «un succès instantané».
Très populaire dans les années 1930 et 1940, le Rockhead’s Paradise est resté ouvert jusqu’à la fin des années 1970. Tim Brady se souvient même d’y avoir passé quelques soirées à cette époque. Le compositeur précise d’ailleurs qu’il habite aujourd’hui à environ un kilomètre de l’endroit où était situé l’immeuble du Rockhead’s démoli dans les années 1980.
Tous ceux qui, comme moi, n’ont pas connu le Rockhead’s Paradise peuvent visionner le passionnant témoignage de Anne Rockhead, épouse de Kenny, fils de Rufus Rockhead sur Mémoire des Montréalais. Cette dame décrit le lieu avec tant de précisions qu’on a l’impression de plonger dans l’effervescence de ces nuits de Montréal où l’on a aussi vu apparaître des talents d’ici dont Oscar Peterson.
Cela dit, une autre bonne façon de se préparer à découvrir l’opéra Backstage at Carnegie Hall est sans doute d’écouter les disques de Charlie Christian. Ce Texan, né en 1916 d’un père guitariste, aura rapidement fait sa marque avant de mourir d’une pneumonie à l’âge de 25 ans. Christian est reconnu, entre autres, pour avoir imposé la guitare électrique comme instrument soliste dans la musique de jazz.
Backstage at Carnegie Hall
Musique : Tim Brady / Livret : Audrey Dwyer
Avec : Ruben Brutus (ténor) dans le rôle de Charlie Christian, ainsi que Alicia Ault (soprano), Fredericka Petit-Homme (soprano), Clayton Kennedy (baryton) et Justin Welsh (baryton)
Mise en scène : Cherissa Richards
Opéra en deux actes / Durée : 85 minutes
En anglais, avec surtitres français et anglais
Théâtre Centaur / 23 et 24 septembre
Production Bradyworks, en codiffusion avec Chants Libres, Le Vivier
Photo d’accueil : Ruben Brutus, dans le rôle de Charlie Christian
Crédit : Andrée Lanthier