Chelsea Manning, condamnée pour trahison à la suite d’une fuite de documents militaires vers Wikileaks, devient un personnage résolument théâtral dans la pièce de Sébastien Harrisson, à l’affiche au Prospero. Très rythmé, le spectacle mis en scène par Eric Jean est découpé en courtes scènes qui prennent l’allure d’une partition théâtrale où brille Sébastien René ! En plus d’incarner la militante américaine transsexuelle, née Bradley Edward, le comédien se transforme en Bradley enfant, puis en soldat, etc. Toute une performance !
Un volet montréalais
À l’histoire déjà complexe de Chelsea (militaire, informaticienne, femme trans, lanceuse d’alerte et activiste), l’auteur ajoute une large part de fiction. Le récit s’appuie sur le vrai séjour de Chelsea Manning à Montréal en 2018, pour l’événement C2, réunissant des experts de différents milieux, dans le but de «façonner l’avenir des affaires». C’est ainsi que la Chelsea de Harrisson croisera, dans l’hôtel montréalais où elle loge, un agent de la GRC, chargé de la surveiller. Ce dernier est un personnage fictif.
La visiteuse est hantée par le souvenir d’un photographe de Reuters, tué en 2007, lors d’un raid de l’armée américaine en Irak, dont elle avait coulé des images à Wikileaks. Cet homme qui a vraiment existé dialogue avec le personnage fictif de l’agent de la GRC. En plus, la conjointe de ce dernier, fictive également, apparaît à quelques reprises dans des scènes plus ou moins superflues. Bref, cette pièce dense, où la réalité complexe du personnage central se mêle à des éléments de fiction, est parfois difficile à suivre.
Une fiction d’aujourd’hui
Heureusement, on ne perd pas de vue le propos brûlant d’actualité de «Becoming Chelsea», qui tourne autour des notions de loyauté et de vérité, à notre époque nourrie aux «fake news», où les apparences l’emportent souvent sur les faits. Qui sont les véritables traîtres ? C’est la question que laisse entendre cet homme devenu femme qui a manqué à son serment en révélant au monde des bavures de l’armée américaine. L’identité fabriquée de Chelsea est-elle mensongère ? Est-elle plutôt la nouvelle vérité de cet être tourmenté ?
Visuellement vivant
En plus de la performance étincelante de Sébastien René, soulignons que Stéphane Brulotte est convaincant en agent de la GRC, tout comme Mustapha Aramis dans le rôle du photographe Namir Noor-Elden. Quant à Marie-Pier Labrecque, elle a la tâche ingrate de porter un personnage qui apporte peu à l’histoire.
Enfin, mention spéciale à Pierre-Étienne Locas pour ses décors qui se transforment comme par magie : prison, ascenseur, chambre d’hôtel, etc. Cette ingéniosité, combinée aux lumières de Cédrir Delorme-Bouchard, contribue à créer l’atmosphère inquiétante de ce «thriller existentiel».
Becoming Chelsea
Texte : Sébastien Harrisson
Mise en scène : Eric Jean
Avec : Mustapha Aramis, Stéphane Brulotte, Marie-Pier Labrecque et Sébastien René
Théâtre Prospero
Jusqu’au 14 mars 2020
Photo fournie par le Théâtre Prospero
Sébastien René dans Becoming Chelsea