C’était la «première mondiale», ce 15 avril à la Place des Arts, du spectacle hommage à David Bowie, interprété par les chanteuses Elisabeth Gauthier Pelletier, Gabriella et Loryn Taggart. Cette production québécoise inclut huit musiciens chevronnés dont Daniel Lacoste aux guitares et à la direction d’orchestre. Au programme, 25 pièces principalement de la période berlinoise, d’où le titre du spectacle : Heroes / Bowie / Berlin – 1976-1980. À cela s’ajoutent diverses projections sur un grand écran à l’arrière-scène. Mais, que reste-t-il de Bowie dans cette soirée ?
Solos, duos et trios
La compagnie montréalaise La Tribu, productrice entre autres de l’électrisant spectacle à grand déploiement Robert en CharleboiScope, veut maintenant conquérir le monde avec The Ultimate Bowie Tribute. En ouverture, une pièce instrumentale mythique. Les musiciens, dont Vincent Réhel aux claviers, interprètent avec exactitude Sense of Doubt, tirée de l’album Heroes qui avec Low et Lodger constitue la «trilogie berlinoise», considérée comme un sommet artistique de Bowie. Pendant ce temps, on projette des images de la ville de Berlin avant la chute du mur.
C’est Loryn Taggart qui lancera la première chanson : Station to Station. D’entrée de jeu, on cherche, sans trouver, des points de repère avec la personnalité vocale de Bowie, caractérisée par sa grande aisance à passer du grave à l’aigu.
Même constat, lorsque Elisabeth Gauthier Pelletier enchaîne avec Look Back in Anger. Bien que ces chansons transportent des tonnes de souvenirs et d’émotions, on ne sent pas de fièvre sur la scène. La chanteuse bouge un peu machinalement, pendant que la musique joue, en attendant le moment de recommencer à chanter.
Puis Gabriella et ses consœurs offrent Fashion vêtues de costumes aux rayures noires avec projections assorties. Visuellement, c’est l’un des moments les plus réussis de la soirée, entre autres, grâce à la collaboration de la chorégraphe Maud St-Germain.
Suivront : Sound and Vision, Boys keep Swinging, Heroes, Scary Monsters, Space Oddity, etc., alternant entre solos, duos et trios. Même si l’orchestre joue avec une grande précision ces bombes rock, très bien servies par la sonorisation de Christian Légaré, la foule qui remplit Wilfrid-Pelletier restera bien sage et ne se lèvera pas pour danser. Qu’est-ce qui ne va pas ?
Hommage ?
D’une part, personne sur scène ne dit un seul mot, pas même le traditionnel «bonsoir Montréal!» Personne ne vient présenter la démarche artistique derrière ce spectacle, ni ses interprètes, même en ce soir de «première mondiale». On n’explique aucunement pourquoi on a aussi intégré quelques chansons qui ne sont pas de la «trilogie berlinoise». Il n’y a pas non plus d’images d’archives.
Même si on ne s’attendait pas à un spectacle d’imitation, disons qu’on se sent bien loin de Bowie. Il n’y a aucune ressemblance physique ou vocale entre ces chanteuses et le légendaire auteur-compositeur britannique. Côté vestimentaire, pas facile d’exprimer judicieusement l’excentricité de ce leader du glam rock. On voit même une chanteuse en robe longue blanche et vaporeuse…
Côté voix, les notes graves ont pratiquement disparu. Les spectaculaires envolées vocales, pierre d’assise du style Bowie, s’en trouvent largement amputées. En fait, au bout d’un moment, on peut se demander s’il s’agit bien d’un hommage à Bowie ou d’une simple reprise de certaines de ses chansons plus ou moins fidèle vocalement aux interprétations originales.
Depuis l’an dernier, le concepteur du Ultimate Bowie Tribute, Claude Larivée, répète en entrevue qu’il ne pouvait choisir un chanteur pour incarner Bowie, car un interprète masculin aurait trop souffert de comparaisons avec la star britannique. Selon lui, des chanteuses s’imposaient pour redonner vie aux refrains de cette icône parfois considérée comme androgyne. Aucune intervieweuse, parmi celles que j’ai lues ou entendues, n’a soulevé la moindre question à ce sujet, comme si la part de masculinité était négligeable dans l’art de ce monstre sacré. Si le sexe d’un artiste a si peu d’importance, alors pourquoi faire des procès sur l’équité, entre autres, aux festivals ?
Imaginons un instant qu’un producteur vous annonce qu’il rend un hommage à Tina Turner avec trois chanteurs, en soutenant qu’après tout madame a parfois une voix rauque et une énergie brute et qu’il a éliminé de possibles interprètes féminines à cause du risque des comparaisons. Pas sûr que dans ce cas, on s’accomoderait si facilement de la démarche.
Cela dit, oui, c’est un plaisir de réécouter en concert les chansons du grand David. Ses musiques sont rendues avec brio, mais où est l’essence de son art de l’interprétation ? Où est la superbe, l’esprit de Bowie ? Je ne suis sans doute pas le seul à m’interroger, car des rangées presque entières se sont vidées avant la fin du spectacle de deux heures sans entracte.
Enfin, l’équipe de Heroes / Bowie / Berlin brisait la glace ce vendredi soir. Chanteuses et musiciens ont encore du temps devant eux pour améliorer les performances vocales souvent approximatives et la cohésion de ce spectacle qui devrait être présenté en Europe, l’automne prochain. À suivre.
The Ultimate Bowie Tribute
Avec les chanteuses : Elisabeth Gauthier Pelletier, Gabriella et Loryn Taggart
et huit musiciens sous la direction de : Daniel Lacoste
Montréal : Salle Wilfrid-Pelletier, 15 avril
Québec : Grand Théâtre, 3 juin
Trois-Rivières : Amphithéâtre Cogeco, 31 août
Ottawa : Centre national des Arts, 8 octobre