Pour les habitués des concerts, il n’y a pas de mystère aux manquements graves au décorum qui peuvent survenir sans qu’on y trouve justification. Au concert de l’Orchestre de chambre McGill, la mezzo-soprano Julie Boulianne a offert mardi 27 novembre, Église saint Jean Baptiste, une fort belle prestation de deux airs de Antonio Vivaldi dont ce fameux Alma Oppressa, magistral… autant que sur son récent disque présentant cette œuvre.
Lors de l’air ayant ouvert le concert, l’accompagnement au violon de Jean-Sébastien Roy, premier violon de cet ensemble, fut rien de moins que chavirant de poésie, au sommet de l’art lyrique que parvient à atteindre la voix de Julie Boulianne, pour dire combien elle était majestueusement accompagnée! Le stress sans doute de l’aria incarnant l’oppression de l’âme qui devait immédiatement être ensuite rendu – en l’évacuant comme inexistant – malgré les exigeantes vocalises intrinsèques à l’œuvre ont dû accaparer l’esprit de madame Boulianne qui a omis alors de faire assez de cas de la splendide contribution du premier violon. Toujours est-il que lorsque le second air prit fin, madame Boulianne avait un poids de moins à porter et pas le moindre… elle salua, sortit de scène et…atterrante apparition…alors que le public intériorisait encore la splendide interprétation virtuose qu’il venait d’entendre pour acclamer encore Julie Boulianne… c’est le bibliothécaire des partitions qui entre d’un pas décidé, en scène, pour venir changer, toutes affaires cessantes ou pressantes, la partition au lutrin du soliste.
J’ai rarement vu un impair aussi cavalier se produire comme si le temps était venu de se débarrasser au plus…etc. de la cantatrice. Enfin, tout était malaisé et on a perçu le débonnaire chef Boris Brott – qui a naturellement bon cœur si généreux- accourir au devant de Julie Boulianne pour la rasséréner un peu et l’encourager à revenir recevoir les vivats de la foule. Il est clair aussi que Jean-Sébastien Roy méritait plus de reconnaissance également au terme du premier air. Enfin, on passe forcément l’éponge sur tout ça, mais connaissant les égos immenses de tant d’artistes sensibles au besoin des applaudissements rassurant qu’ils aient pu n’avoir pas démérité…on imagine alors que des rancœurs tenaces entre acteurs du monde musical jusqu’en coulisses laissent poindre leur manifeste présence!
Mais tout ceci est souvent le fruit d’une imagination trop fébrile comme la mienne et le concerto pour flûte de Telemann qu’est venu jouer ensuite notre cher flûtiste de l’OSM, Timothy Hutchins, nous a fait presque immédiatement oublier tout ça. L’œuvre de Bach, la seule, qui faisait cadrer ce concert au sein du Festival Bach se trouvait à la toute fin du programme qu’une quinte de toux persistante de ma voisine arrière m’a soufflée dans le cou de sorte que je fus mis hors jeu jusqu’au surlendemain pour le concert à l’Église Saint Andrews et Saint Paul du contreténor Orlinski et du soprano Hélène Brunet, dame remarquable dont la voix m’a beaucoup plus ému que celle d’Orlinski lui-même. Les deux chanteurs étaient accompagnés, jeudi soir, par l’ensemble L’harmonie des Saisons jouant cette fameuse cantate de Bach d’après Pergolèse intitulée Efface très haut mes péchés Bach Werke Verzeichnis 1083. Eh bien, j’admets être le pécheur très irrévérencieux, rendu grippé ou malheureux par de tels impairs, car Hélène Brunet aurait dû être bien plus mise en évidence par la publicité en raison de la qualité surclassante de sa voix à elle. De celle de M. Orlinski dont les timbres et les harmoniques ne me touchent mystérieusement pas, effacez je vous en prie mes péchés, je n’ai rien à redire, c’est bien beau tout ça, pour l’époque. Ce n’est pas une préférence générique, seulement un effet de tessiture en ses couleurs. J’ai, il est vrai, un tempérament ultrasensible de gros costaud dur-à-cuire fort insensible, mea culpa. Hélas, je serais malhonnête de me dire être bouleversé par cet art des contretenors, émanation trop raffinée pour mes rustres oreilles de fils non dégrossi de paysan.