Marc-André Hamelin que j’ai entendu la première fois en 1984 au Concours international de Montréal parmi 48 pianistes -justement dans la Fantaisie de Schumann au programme ce dimanche au LMMC- ne doit pas être confondu avec le récent médaillé d’argent du Concours Chopin (dont le prénom est Charles-Richard en plus que ce dernier n’est âgé que d’à peine trente ans). Marc-André Hamelin est de la plus haute stature musicale qu’on puisse détenir en interprétation pianistique. Son programme de récital au Ladies Morning Musical Club à la salle Pollack sur piano Steinway a offert un rendement équivalent aux grandes réussites discographiques suivantes.
Voici donc, oeuvre par oeuvre, le niveau extraordinaire de jeu et de sonorité atteinte ou dépassée: tout d’abord la bouleversante première oeuvre au programme surpasse en dramatique et fougue la fulgurance de Alexis Weissenberg (Chaconne en ré mineur de Bach-Busoni étiquette EMI La voix de son maître C069-12505). Pour la Fantaisie en do majeur de Robert Schumann, ce monument radieux en trois mouvements de lumière et de sérénité, à l’exception d’une version renversante dont je parlerai plus loin, Marc-André Hamelin dépasse de loin toutes les interprétations entendues ou enregistrées que j’aie entendues à ce jour notamment celle de Martha Argerich (Columbia Masterworks M35168), Svjatoslav Richter (Angel 35679) et même celles si radieuses de Wilhem Kempf (Héliodor 2548035) et Claudio Arrau (Ermitage 149ADD live Ascona 9 sept.1959). Le seul interprète qui puisse ravir à Marc-André une nette supériorité d’éloquence dans cette Fantaisie opus 17 dédiée à Franz Liszt, une grande oeuvre d’importance (comme le sont l’Humoresque et Kreisleriana) est Éric Lesage un pianiste français méconnu, hélas, devenu pourtant le plus grand interprète de tous les temps d’absolument toute l’intégrale de l’oeuvre pianistique de Robert Schumann (étiquette Alpha 813). Tout est magnifique dans son coffret sublime de 13 disques dont plusieurs furent enregistrés avec des fonds offerts par l’Université Laval de Québec.
Après l’entracte, la première série des Images de Claude Debussy nous a permis de nous laisser transporter par la palette sonore richissime de M. Hamelin dont l’agilité, la grande expressivité n’ont rien à envier à Jean-Efflam Bavouzet, le spécialiste incontestable sur disque… de l’oeuvre pianistique de Debussy (étiquette Chandos), un artiste plutôt froid, venu récemment à Montréal se faire entendre en deux récitals nullement à la hauteur du niveau époustouflant de son coffret Debussy que personne en vélocité n’a pu égaler, sauf un pianiste aux doigts si phénoménaux et aux mains colossales de prouesses techniques que Marc-André Hamelin.
Pour ce qui est des oeuvres de Chopin choisies au programme par M.Hamelin, la Polonaise-Fantaisie opus 61 en la bémol majeur qui est – le grand pédagogue Alfred Cortot nous le rappelle… plus une Fantaisie qu’une polonaise (Chopin écrivait à un ami en 1845 «j’ai composé quelque chose que je ne sais pas comment dénommer»!), aussi le quatrième scherzo en mi majeur opus 54, en toute franchise, j’ai des réserves sur la diction toute de clarté mais sur la production sonore en sa robustesse sous la main de notre prodigieux pianiste québécois quand il se consacre à Chopin, si je puis me permettre aussi d’étendre mes réserves à son disque tout Chopin sur Hypérion fruit de son art toujours très musical, certes… Mais il y a des Stefan Askenase, Ivan Moravec, des Moreira-Lima (deuxième prix au Concours Chopin derrière Marta Argerich en 1965), des Clara Haskil, Guiomar Novaes, Claudio Arrau qui m’empêchent de donner la première place à l’élève d’Yvonne Hubert qui demeure avec André Laplante et Louis Lortie un immense joyau musical pour notre pays, des artistes qu’il fera toujours plaisir à réentendre maintes fois (à l’égal de Angela Hewitt).
En rappel après s’être fait prier trois fois, deux oeuvres furent offertes par M.Hamelin soit un impromptu de Schubert et sa propre composition intitulée Toccate sur l’Homme armé. Beaucoup de jeunes pianistes sont venus le rencontrer pour faire signer des partitions de la Chaconne, de ses Études etc. à la réception offerte en l’honneur de son quatrième passage au LMMC. Chaque fois, Marc-André Hamelin accueillait ces jeunes artistes avec affabilité et de sincères égards.Je tiens également à exprimer que ça demeure une honte nationale impardonnable que l’impossibilité (par occasion non saisie) d’enregistrer la Ballade pour piano et orchestre de Gabriel Fauré qu’Hamelin joue mieux que quiconque et sa Fantaisie de même que les oeuvres avec piano et orchestre de Franck que monsieur Kent Nagano n’a pas réalisées avec l’OSM aux côtés de l’interprète d’exception qu’est Marc-André Hamelin (aussi à écouter est sa livraison du deuxième concerto de Brahms). Je considère tout aussi scandaleux que ni Lortie ni Laplante ni M-A Hamelin n’aient gravé de concertos avec notre orchestre reconnu mondialement. Nous dilapidons nos fonds publics à ne pas promouvoir nos talents d’ici que cela déplaise la rectitude politique ou non, charité bien ordonnée commence par nous-mêmes.Marc-André Hamelin a plus de 70 enregistrements épatants à son actif dont une panoplie d’oeuvres rarissimes jamais enregistrées ou reconnues comme fondamentales au répertoire de la part des mélomanes les plus experts (par exemple les compositeurs Alkan, Catoire, Dukas, Godowski, la liste est presque interminable).En 1984, Marc-André s’était rendu en demi-finale du Concours international de Montréal, tout comme le pianiste français Éric Lesage . Au fil des ans, j’ai vu beaucoup d’éliminés persévérer et faire carrière (le pianiste Bernd Glemser par exemple). La carrière de Marc-André Hamelin est planétaire: membre du jury et compositeur attitré de l’oeuvre obligatoire au dernier concours Van Cliburn 2017 (où les deux meilleurs candidats l’Italien Leonardo Pierdomenico et le Coréen Dasol Kim ne furent pas nommés parmi les finalistes), rien ne peut l’arrêter vers une gloire durable. Mais il est temps que nos ensembles orchestraux enregistrent les nôtres qui valent autant, sinon mieux, que tous les plus grand(e)s que je ne cesse d’énumérer et distinguer dans mes modestes recensions.