Voir Marc Messier dans un rôle principal au théâtre est un évènement en soi, le comédien s’étant surtout consacré à la télévision et au cinéma, parallèlement au succès monstre du spectacle Broue qui l’a tenu occupé durant près de quatre décennies. Ces jours-ci, le septuagénaire nous convie au TNM, où il incarne «Le Père», oeuvre du dramaturge Florian Zeller. Cette pièce qui a été un grand succès lors de sa création à Paris en 2012, a ensuite été transposée au cinéma, de sorte qu’Anthony Hopkins est devenu The Father dans un film qui a obtenu deux Oscars. Néanmoins, l’adaptation québécoise de cette histoire de portée universelle, avec les moyens considérables d’un des principaux théâtres montréalais, est décevante.
Une farce tragique
Ce texte toujours très actuel, d’un des auteurs français les plus joués au monde, nous entraîne dans l’univers trouble d’un homme âgé, dont la dégénérescence mentale s’apparente à la maladie d’Alzheimer. André qui est loin d’avoir l’air d’un vieillard, est convaincu qu’il est encore autonome et il refuse d’être pris en charge par les aide-soignantes que lui présente sa fille, Anne. Cette dernière, réticente à l’idée de placer son papa dans une résidence, choisit plutôt de l’accueillir chez elle. Catherine Trudeau est d’ailleurs souvent touchante en femme tiraillée et indécise quant aux moyens à prendre pour aider son père.
Mais, malheureusement, on passe à côté de l’essentiel du sens de ce texte qualifié de «farce tragique» par son auteur. Durant la majeure partie de la pièce, la maladie d’André est abordée avec une telle légèreté que le sujet semble drôle!
Malgré le sérieux de la situation, on se trouve devant un blagueur invétéré qui déclenche des éclats de rire dans la salle. Bref, on ne sentira le poids des troubles cognitifs et de l’angoisse qui s’emparent du pauvre homme qu’à la toute fin du spectacle.
Maladresses
Entre les scènes souvent très courtes, on modifie le décor conçu par Odile Gamache et Julie Measroch. Le plateau est alors plongé dans le noir, pendant qu’on aveugle les spectateurs en braquant de nombreux projecteurs vers la salle. On veut bien y voir un symbole de la tempête qui ravage les cellules du cerveau d’André mais, interrompre les dialogues aussi brutalement, plus de dix fois, ça devient pénible! Quelles que soient les intentions de la metteuse en scène Édith Patenaude, ces multiples interruptions ruinent le spectacle où l’émotion arrive trop rarement à se frayer un chemin!
Plus encore, on installe une distance entre le public et les comédiens qui évoluent dans une sorte de castelet. Ce décor divisé par une poutre est installé en retrait, par rapport à l’avant-scène. Cela n’aide pas le spectateur à se sentir concerné par le drame du Père qui devrait pourtant nous bouleverser, puisqu’il évoque la triste réalité de certains de nos proches.
Cela dit, le brillant Zeller multiplie les scènes conçues pour entraîner l’assistance dans l’univers trouble du protagoniste qui perd ses repères. Par exemple, les visages de certains personnages semblent se métamorphoser, alors que des interprètes changent de rôle. Puis, un meuble ou un tableau se transforme ou disparaît d’une scène à l’autre. On arrive ainsi à faire vivre au spectateur la confusion qui s’empare du malade, dont les souvenirs s’embrouillent. Mais, cela est loin de suffire à sauver la mise, puisqu’en général, on ne sent pas la douleur qu’implique la perte de l’autonomie pour un être humain, durant ce spectacle de 90 minutes sans entracte.
Pourtant, un comédien adulé des québécois, dans le rôle central d’une pièce phare de l’un des plus réputés dramaturges français de l’heure, aurait pu donner de grands moments de théâtre. Hélas, malgré tous ses atouts, ce spectacle ne tient pas ses promesses. Dommage!
Le Père
Texte : Florian Zeller
Adaptation : Emmanuel Reichenbach
Mise en scène : Édith Patenaude
Avec : Marc Messier, Catherine Trudeau, ainsi que Fayolle Jean Jr, Adrien Bletton, Sofia Blondin et Noémie O’Farrell
Au TNM jusqu’au 21 avril / Production : Encore Spectacle
Photos fournies par le TNM / Crédit: Yves Renaud