Les thèmes du racisme et de l’identité sont au coeur du spectacle Lequel est un Basquiat de Philippe Racine, au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui. L’artiste nous entraîne dans l’univers de Samy, un grapheur montréalais d’origine haïtienne. Les talents de ce jeune homme sont tels qu’on lui propose d’importantes sommes d’argent pour devenir un faussaire de Jean-Michel Basquiat (1960-1988), célèbre peintre qui était lui aussi d’origine haïtienne et qui a commencé sa carrière en dessinant des graffitis. Mais, peut-on jouer à fond le jeu de l’imitation sans se perdre soi-même ?
Regardez-moi dans les yeux
Créateur polyvalent, Philippe Racine, a écrit et mis en scène cette pièce où il incarne Basquiat lui-même, ainsi que le grapheur Samy. Ce dernier est l’alter ego fictif de l’auteur qui prend aussi la parole en son nom personnel. Il sort momentanément de ses rôles pour questionner le public. Il demande, entre autres, aux spectateurs qui le veulent de le fixer dans les yeux, car il estime qu’un regard prolongé est souvent révélateur du fond de l’âme.
C’est avec le sourire que Racine incite le public à ce jeu de la vérité, mais lorsqu’il retourne à ses personnages, c’est avec colère qu’il évoque la condescendance dans les regards posés sur lui. On ne sait pas toujours clairement laquelle des trois entités s’exprime et les propos ne font pas dans la dentelle. Je n’aime pas les noirs qui traînent leur passé d’esclave, dit-il.
Il n’aime pas non plus les Québécois qui traînent leur passé de colonisé en entretenant des «éléphants blancs» comme le projet de souveraineté du Québec ou du troisième lien !?! Voilà ce qu’on pourrait appeler mélanger les choses. Du même souffle, Racine condamne Pierre Vallières, l’auteur de Nègres blancs d’Amérique.
Dans son tribunal théâtral, l’auteur de Lequel est un Basquiat demande alors au public sur un ton moqueur : «Me tolérez-vous encore?», car Racine fait valoir que les noirs doivent être gentils pour qu’on les tolère. Vraiment ? Est-ce simplement pour une question de gentillesse que Nadine Girault, née au Missouri, a été nommée ministre de l’Immigration et ministre des Relations internationales par François Legault ? Et que dire de Maka Kotto, né au Cameroun et nommé ministre de la Culture et des Communications dans le gouvernement souverainiste de Pauline Marois?
Discours victimaire
Avec son discours victimaire, Racine ne semble pas réaliser que les Québécois francophones et blancs ne s’aiment pas tous eux non plus ! La langue et la couleur n’empêchent pas de profondes divergences d’opinion. On l’a constaté encore, il y a quelques jours, en regardant le Face-à-Face des chefs mais, le fait de ne pas partager la même vision des choses est-il automatiquement un signe d’intolérance ?
Cela dit, la biographie de Philippe Racine indique que «plus de 15 ans de pratique professionnelle lui ont permis de développer ses talents d’acteur, de metteur en scène, d’administrateur de compagnie, de compositeur et de médiateur culturel.» Il a aussi été artiste en résidence au Théâtre du Nouveau Monde, en 2019 et il est présentement enseignant invité à l’École nationale de théâtre du Canada. Ce parcours pourtant jalonné d’accomplissements a-t-il été miné par le racisme ?
Beethoven au banc des accusés
Lequel est un Basquiat, spectacle justicier, ratisse large. Même Beethoven est au banc des accusés car il a dédicacé sa symphonie Eroica à Napoléon Bonaparte qui est à l’origine d’une expédition militaire dévastatrice pour les Haïtiens. Racine oublie toutefois de mentionner que le compositeur allemand a finalement renoncé à cette dédicace. Oups !
Crise de panique au Canadien Tire
Vous aurez compris qu’on passe souvent du coq à l’âne dans cette pièce, où le délire de Samy atteint soudainement des proportions inquiétantes, dans les allées d’un Canadian Tire. En proie à une crise de panique, le grapheur hurle que les magasins à grande surface lui rappellent son enfance quand il craignait d’être kidnappé ! Cette scène surjouée ne m’a pas semblé traduire avec justesse les enjeux de santé mentale.
À ce récit à trois personnages s’ajoutent des extraits audio d’entrevues avec Jean-Michel Basquiat dont plusieurs mots nous échappent sous la musique et les effets sonores. Quant au décor qui est censé rappeler un atelier d’artistes, on s’y perd : faux tableaux de Basquiat, un morceau de bois qui représenterait un peuplier, un vieux tricycle d’enfant, etc.
Dans le programme du spectacle, Racine dit souhaiter que «ces moments d’angoisse partagés aident à nous comprendre.» Je ne vois pas comment pareil objectif pourrait être atteint dans de telles conditions !
Lequel est un Basquiat
Texte, mise en scène et interprétation : Philippe Racine
Salle Jean-Claude Germain du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui
Jusqu’au 1er octobre / Billets
Photo de Philippe Racine dans Lequel est un Basquiat
Crédit : Valérie Remise