Il aurait pu appeler sa tournée Le tour d’une vie car avec son spectacle intitulé Le tour du bloc qu’il promène depuis le début de 2023 (et se poursuivra en 2024), Michel Rivard nous invite à la célébration de sa vie singulière. Hier soir c’était au Théâtre Maisonneuve. Il propose 50 ans de souvenirs racontés et livrés en musique, à travers son enfance, son adolescence, sa vie adulte et aujourd’hui, malgré lui, son septuagénat.
Fidèle à ces racines urbaines du côté de Villeray qui l’ont vu grandir, devenir homme et se déployer comme artiste, il a choisi des paroles auxquelles les Montréalais de souche s’identifient, Le tour du bloc, et il en a fait une nouvelle chanson.
Douceur immanente et authenticité
Rivard incarne le meilleur de nous, de notre québécitude grâce à cette douceur immanente, cette quiétude et cette authenticité puisée au fond de l’âme. Que ce soit en chantant La lune d’automne (1992) ou Méfiez-vous du grand amour (1977), cet orfèvre des mots et ce sculpteur de mélodies, touche une corde sensible en nous. Au coeur de la vingtaine de chansons que Rivard nous livrera en plus de 2 heures 30, il insérera la plus tragique et bouleversante d’entre toutes, ponctuée par les notes funestes du saxophone : L’oubli, un rappel de la maladie du cinéaste Claude Jutras et de sa triste fin.
Sur scène, cet artiste multi-talentueux s’est payé la traite pour fêter le temps qui passe. À son dynamique trio qu’il nomme amicalement trois nuances de gris et qui le suit depuis toujours, soit le célèbre Rick Hayworth à la guitare et à la steel guitar, l’hyperactif Mario Légaré à la basse et le batteur discret, Sylvain Clavette, il a rajouté quatre musiciens.nes munis de leurs cuivres et vents : il appelle cet ensemble musical son Flybin Big Band. Sans compter que l’auteur de Tout simplement jaloux ne laisse pas sa place quand il est question de gratter habilement ses propres guitares.
La musique ravivée
Au coeur des nouveaux arrangements musicaux du généreux programme de cette tournée, François Richard aussi au clavier, a trouvé le moyen de rafraîchir et de raviver les vers d’oreille de ces chansons Ginette, Le Blues de la métropole, etc. qui ont tourné en boucle dans les chaumières du Québec à l’apogée de la vie des babyboomers. La valse de l’idiot (1987), La complainte du phoque en Alaska (1974), Le retour de Don Quichotte (1975) sont autant de ballades qui revêtent des habits majestueux.
Un chouia de swag
À la mise en scène, Fredéric Blanchette a injecté ce qu’il faut de swag pour hypnotiser le spectateur. Si la voix de Rivard est intacte et reconnaissable entre toutes malgré le temps, que sa poésie et ses mélodies séduisent terriblement et font appel à nos plus heureux, fous et tristes souvenirs, l’artiste lui-même est plutôt sobre et tout en retenue.
Entre en scène la magie de la direction artistique. Les textes en soi et la qualité du français, autant de bijoux finement travaillés, suaves, pleins d’humour, poétiquement livrés par l’acteur qu’il est, suscitent vivement notre curiosité. On a le goût de tout savoir sur cette vie qui parfois ressemble à la nôtre comme ce père qui le sermonne : je t’avais dit d’aller étudier en droit ou tu lis les journaux quand même! Ha ! Le père de Michel Rivard, Robert Rivard, président de l’Union des Artistes pendant plusieurs années, a aussi connu ses heures de gloire comme acteur.
À cette impressionnante distribution, trois choristes épatants, souvent dansants, toujours joyeux, crèvent la scène par leur présence, parfois instruments de musique en main. Lana Carbonneau à la flûte, Audrey-Michèle Simard et l’acteur Renaud Paradis qui étonnamment joue du bugle et excelle dans le finger snapping, appris à New York, uniront harmonieusement leurs talents et leurs voix à la vedette de la soirée.
Si Michel Rivard s’inscrit dans la lignée des grands poètes et mélodistes que le Québec a connus, sa tournée Le tour du bloc est un moment réconfortant vers nos racines qui se fragilisent à grande vitesse. On souhaite qu’il ne devienne pas un des derniers Mohicans. La vieillesse inéluctable à la survie dans le temps, préoccupe aussi l’homme devenu grand-père. Tandis qu’il croyait échapper à ces rumeurs qu’on devient vieux, il admet d »emblée être devenu un aîné… À suivre.
y’a quequ’ chose qui m’appelle – quelque chose de plus grand que moi – y’a quequ’chose qui m’attire – quelque chose de plus grand que moi – est-ce le bleu du ciel ? Le beau grand jamais vu (2006)
Photos : Victor Diaz Lamich