Le Théâtre Jean-Duceppe ouvre sa saison 2022-2023 avec une pièce de l’autrice québécoise d’ascendance égyptienne Nathalie Doummar, réunissant plusieurs comédiennes arabes venues du Maghreb et du Moyen-Orient. Dans «Mama», une douzaine de femmes de trois générations sont réunies dans la chambre d’un homme âgé de leur famille qui est en train de mourir. Néanmoins, le clan féminin rigole ferme ! On s’amuse même des râlements de l’agonisant dont on fait aussi le procès. On parle fort de tout et de rien : les mots Tylenol, gouine et avortement, entre autres, reviennent à quelques reprises. Puis, l’une des femmes va chanter «La Mamma» d’Aznavour au mourant. Cherchez l’erreur…
L’amour familial au féminin
Un gigantesque miroir rond surplombe la scène. On y voit, entre autres, le patriarche sur son lit de mort. En fait, de quoi souffre-t-il ? Ça ne fait pas partie des nombreux sujets de conversation de ces femmes pourtant intarissables durant cette pièce de 1h 45 sans entracte.
Elles parlent plutôt de leurs séances de masturbation avec des coussins. Les plus âgées veulent savoir si le petit copain d’une cadette du clan embrasse bien, etc. Aborderiez-vous pareils sujets en présence de quelqu’un que vous aimez et qui est en train de mourir ?
Le ton monte, entre autres, lorsqu’on reproche à Diane (interprétée en alternance par Nathalie Doummar et Sharon Ibgui) son divorce suivi d’une relation lesbienne. Mais, l’hilarante Mado (Natalie Tannous) vient détendre l’atmosphère en offrant des Tylenol à tout bout de champ, comme s’il s’agissait de bonbons.
Une jeune fille du clan annonce qu’elle est enceinte. Le premier réflexe de sa mère est de condamner le géniteur : «Il t’a forcée!» Non, répond la jeune femme. Il s’ensuit une discussion enflammée sur l’avortement.
Quelques-unes des femmes du clan ont des conjoints, mais on ne les voit pas. Elles en parlent en général sans aucune passion et de façon extrêmement réductrice : «Il ne m’invite jamais chez Tim Hortons», lance l’une d’elles. On comprend que leurs hommes sont d’abord des géniteurs gratuits et des partenaires économiques, voire des pourvoyeurs.
Elles sont tiraillées entre leur ascendance égyptienne chrétienne et leur terre d’adoption, le Québec. À ce sujet, Joséphine (Mireille Tawfik) qui passe volontiers du français à l’anglais, qualifie de «règlement de merde», la loi québécoise qui l’a empêchée d’envoyer ses enfants à l’école anglaise.
En général, la metteure en scène Marie-Ève Milot parvient à dynamiser cette longue pièce où il y a peu de rebondissements. On utilise aussi un plateau tournant et on se demande bien pourquoi ?
Rire de la mort d’un homme
Quant au mourant (Igor Ovadis), on se souvient de lui pour ses colères qui faisaient peur aux enfants. L’autrice a bien peu à dire sur celui qu’elle utilise comme prétexte pour donner la parole à ses personnages féminins. On va même chanter au patriarche : «On la réchauffe de baisers / On lui remonte ses oreillers / Elle va mourir, la mamma…» Alors, pourquoi ne pas avoir articulé sa pièce autour de la mort d’une aïeule ? Est-ce parce que l’autrice trouve que la mort d’un homme se prête mieux au comique que la mort d’une femme ?
Chose certaine, c’est sur un ton plutôt désinvolte que les personnages manifestent leur impatience devant cette agonie qui à leurs yeux s’éternise. Même la digne grand-mère interprétée par Mireille Naggar est mise à contribution pour faire rire les spectateurs au moment de la mort du patriarche.
Après nous avoir expliqué que cet homme a toujours eu tendance à faire le contraire de ce qu’on attendait de lui, elle lui chuchote à l’oreille des demandes en espérant que, fidèle à ses habitudes, le vieux têtu voudra la contredire et lâchera enfin prise. La table est ainsi mise pour que le public éclate de rire quand elle dit au mourant : ne me quitte pas; je ne pourrais pas vivre sans toi, etc. Est-ce acceptable de se moquer ainsi d’un mourant ? Malaise !
Heureusement, la 50e saison du Théâtre Jean-Duceppe nous promet des spectacles moins axés sur le clan et plus rassembleurs dont une adaptation du film Gaz Bar Blues et le Projet Riopelle de Robert Lepage.
Mama