Dans l’ample palais du Théâtre Denise-Pelletier avec ses décors dionysiaques en Trompe-l’œil et ses pastiches d’armoiries des cours de Castille et de Léon, on admire l’étendue du rideau presque opératique sans oublier les échafaudages de loggias italiennes aplaties ou plaquées en feintes le long des murs de ce manège enchanté. Jusqu’au 19 octobre prochain, on y jouera une nouvelle Peau d’Âne, originellement de Charles Perrault, mais absolument méconnaissable. Présenté ainsi sous les mots « D’après Charles Perrault », ça fait effet de nouvelle mouture mais ce n’est ni pur ni simple.
Le conte recomposé en parler québécois
C’est en effet utiliser le titre du conte que de le recomposer aussi librement et en amputer à la fois la pureté de la langue et, peut-être pas à la Jacques Demy, mais d’en gonfler un discours extrêmement univoque qui corrige cependant correctement l’époque et notre temps bien mal avisés d’y avoir plus ou moins vu autre chose que ce qu’on ne peut désormais qu’y percevoir: l’horreur de l’inceste.
Maints rôles en deux courageux acteurs
Éric Bernier joue plusieurs rôles qu’on lui accole à cette mission de nouvel Évangile des valeurs à rigueur d’analyse, dont le principal rôle se colorise en travestissement de Fée-Marraine. D’emblée la Reine d’immense beauté et le Roi, jadis si heureux ensemble, avaient été désincarnés en des esprits évanouis derrière une horloge du temps qui en effaçait leur chair pour leur seule supposée voix.
Sophie Cadieux grandit en personnage à partir d’une poupine figure d’enfant de plastique et surgit éventuellement en orpheline en exil, le plus souvent trop vaguement esquissée en personnage du conte pour que ce soit ressemblant.
Jadis, cette Peau d’âne avait donc eu un père qui voulait l’épouser pour satisfaire l’exigence testamentaire de son expirante mère trop belle pour être remplacée par une autre splendeur que sa propre fille. Mais aussi ce Roi admettait, dans le conte, que c’est pour jouir de « certains tendres appâts » (septième strophe du conte en vers) de sa fille si belle.
L’anneau salvateur utile à un autre Prince en quête de bonheur surgira, oui, en vue de sa fonction de dénouement, mais c’est opaque et n’offre aucun scintillement reconnaissable.
Thèmes obscurcis
Y comprendre le thème de l’inceste est vraiment difficilement possible, à mon avis, pour le public juvénile invité (par abonnement ou cours 101 de cégep) à y assister. Les dialogues même en québécois ne sont pas que parfois accessoirement militants, ils sont trop prolixes, presque toujours sans évocation du féérique (ou maléfique si vous préférez) chez Perrault : l’effet serait certainement quand même démoralisateur voire démoralisant vu le sujet.
Le public plus âgé roupille un peu et le public plus jeune rit à peine, forcément, il se dit que c’est ici ou là qu’il faille rire… on voit qu’il se demande où il est et de quoi la pièce est vêtue un peu comme le roi ne doit pas apparaître nu à personne (dans le conte de Grimm!).
Anniversaire très bientôt
Il y aura bientôt 400 ans, en janvier 2028, de la naissance Charles Perrault à aujourd’hui: que son langage exquis de clarté éloquente soit célébré de par toute la Terre en ses contes riches d’interprétations traduits dans toutes les langues littéraires et qu’on parvienne à rhabiller ainsi un texte pareil est vraiment un prodige soit d’adaptation soit de réinvention.
Peau d’Âne au Théâtre Denise-Pelletier
D’APRÈS LE CONTE DE CHARLES PERRAULT
AVEC ÉRIC BERNIER ET SOPHIE CADIEUX
TEXTE ET MISE EN SCÈNE
FÉLIX-ANTOINE BOUTIN ET
SOPHIE CADIEUX
PRODUCTION THÉÂTRE DENISE-PELLETIER ET CRÉATION DANS LA CHAMBRE
EN COPRODUCTION AVEC LE THÉÂTRE FRANÇAIS DU CENTRE NATIONAL DES ARTS
ASSISTANCE À LA MISE EN SCÈNE ET RÉGIE
AUDREY BELZILE
SCÉNOGRAPHIE
MAX-OTTO FAUTEUX
COSTUMES
ELEN EWING