L’un des temps forts de la saison théâtrale montréalaise 2021-2022 est en cours avec la présentation de Pipeline. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, cette pièce de Dominique Morisseau n’a rien à voir avec le pétrole. Compte rendu du tout premier spectacle présenté à La Licorne par la compagnie montréalaise Black Theatre Workshop.
Pipeline fait référence à une tendance voulant que les jeunes qui ont des difficultés en milieu scolaire se retrouvent dans un engrenage qui risque de les conduire en prison. Aux États-Unis, on parle de ce phénomène avec l’expression «school-to-prison pipeline.»
L’autrice américaine braque les projecteurs sur Omari (Grégory Yves) qui, dans un moment de grande colère, a frappé son professeur; l’adolescent est menacé d’expulsion de son école. Sa mère monoparentale, Nya (Jenny Brizard), est enseignante. Elle connaît donc les rouages du système de l’éducation et elle est prête à tout pour qu’on donne une deuxième chance au jeune homme. Convaincue que les noirs sont toujours jugés plus sévèrement, elle aussi rage !
De son côté, Jean Bernard, avec son physique imposant, incarne un père profondément blessé par les reproches de son fils. Ils en viendront même aux coups, dans l’une des scènes les plus intenses du spectacle. Ici encore, l’autrice laisse place à une zone de questionnement. Nya aurait-elle manœuvré pour évincer le géniteur d’Omari et ainsi avoir son enfant à elle toute seule ?
Cette femme amère dévoile d’ailleurs plus ou moins maladroitement une partie de sa rancoeur, lors d’une discussion tendue avec Jasmine (Gloria Mampuya), la petite amie de son garçon. «Jasmine, je ne te déteste pas.» Cet aveu troublant provoque des éclats de rire dans la salle.
Quant à Schubert Pierre-Louis, agent de sécurité de l’école, il porte certains des passages clés de la pièce : pourquoi cette violence chez des jeunes comme Omari ? Qu’est-ce qui nourrit tant d’agressivité ? Veut-on vraiment savoir ?
Sans imposer des réponses, Pipeline soulève des questions fondamentales, notamment, sur le devoir parental, sur les limites du système de l’éducation et sur l’égalité des chances selon la classe sociale et l’origine ethnique. Chacun des six personnages de la pièce apporte un éclairage différent à l’histoire. Le sujet est grave, mais il est allégé par une certaine d’ose d’humour. Entre autres, Anie Pascale, est hilarante en enseignante désillusionnée !
La traduction française de Mishka Lavigne, parsemée de mots d’anglais, colle à la réalité montréalaise d’aujourd’hui. La mise en scène de ahdri zhina mandiela (elle écrit son nom sans majuscules) utilise tous les angles du plateau pour évoquer les différents lieux où se déroule l’histoire. Il n’y a pas de décor; seulement quelques cubes de bois que l’on déplace parfois, bruyamment, justement pour faire entendre la colère. Efficace !
Bref, on a là un spectacle qui aborde en profondeur et sans artifice des questions ancrées dans l’actualité, le tout avec une solide distribution composée à la fois de comédiens noirs et de comédiens blancs. Pour plusieurs d’entre nous, c’est aussi l’occasion de découvrir le Black Theatre Workshop, fondé il y a plus d’un demi-siècle. Après deux semaines de représentations en anglais, cette compagnie montréalaise présente Pipeline en français jusqu’au 8 mai.
Pipeline
Texte : Dominique Morisseau / Traduction : Mishka Lavigne
Mise en scène : ahdri zhina mandiela
Avec : Jean Bernard / Jenny Brizard / Gloria Mampuya / Anie Pascale / Schubert Pierre-Louis / Grégory Yves
À La Licorne – du 26 avril au 8 mai (version française)