On connaît la passion d’Alain Lefèvre pour la musique d’André Mathieu, mais, grâce à l’humour intelligent de Marc Labrèche, ce compositeur québécois nous est apparu sans doute plus vivant que jamais dans cet Événement 50e d’André Mathieu. Il faut dire que l’animateur de la soirée connaît le sujet, lui qui a incarné le père d’André Mathieu dans le film L’enfant prodige. Histoire de nous plonger dans les années 40, le comédien sait faire rire en lisant un programme de concert d’André Mathieu, avec le style plutôt empesé des maîtres de cérémonie de l’époque. Plus tard, Labrèche racontera une anecdote voulant que son père, Gaétan Labrèche, eût sermonné le compositeur pour qu’il cesse de boire; mais on apprendra que ce dernier n’avait pas la langue dans sa poche et n’hésitait pas à envoyer promener les moralisateurs.
L’assistance étant bien déridée, elle écoute avec attention Catherine Major interpréter Les chères mains et Il pleure dans mon coeur, des poèmes de Verlaine mis en musique par Mathieu. Puis Alain Lefèvre s’amène pour l’un des temps forts de ce rendez-vous avec notre histoire, Rhapsodie romantique, avec l’Orchestre de la Francophonie, dirigé par Jean-Philippe Tremblay.
Après l’entracte, place à Diane Dufresne qui de sa voix divine chante L’enfant prodige qu’elle a elle-même écrite sur une musique de Lefèvre qui l’accompagne au piano. «Pourquoi l’enfant prodige mourut sans aucun éclat? Pourquoi? Pourquoi? Pourquoi? L’oubli nous paralyse…» Frissons! On aura aussi droit à un poème de Mathieu chanté par Florence K. et Dufresne reviendra avec tout l’orchestre pour la déchirante Si tu crois, sur une musique écrite par le compositeur, vers l’âge de 15 ans.
Jamais bien loin, l’animateur refait surface en racontant que Mathieu, grand amoureux du Québec, avait tenu à aller jouer dans un coin reculé d’Abitibi pour des gens qui n’avaient sans doute jamais entendu un pianiste de concert. L’artiste aurait alors donné 22 rappels! Labrèche annonce alors à la blague qu’on en fera autant en ce soir d’hommage à la Maison symphonique.
Puis, c’est la pièce de résistance: Le Concerto de Québec. Plus précisément, il s’agit d’une nouvelle version intitulée: Concerto no 3, en do mineur opus 25. Cette partition constituée par Jacques Marchand, directeur de l’Orchestre symphonique d’Abitibi-Témiscamingue, restaure des passages coupés ou raccourcis au fil des différentes moutures de l’oeuvre. C’est d’ailleurs la première fois que cette version est jouée en concert à Montréal. Après ces heures passées avec Mathieu, par l’entremise de Labrèche et cie, on est prêt à recevoir cette musique qui aurait très bien pu disparaître de notre mémoire n’eût été de la persévérance de Lefèvre. L’engouement est tel qu’on applaudit à tout rompre dès la fin du premier mouvement. Bien sûr, ce n’est pas souhaité au concert, mais ça n’empêche pas ce public généreux, convié par les Francos, d’écouter respectueusement les deux autres mouvements.
Ovationné, Lefèvre ajoutera que: oui, il est né en France et qu’il a un petit accent, mais qu’il continuera de se battre pour faire rayonner les talents québécois. Pourquoi avons-nous tendance à faire la sourde oreille aux nôtres, demande-t-il? Alors que, dès l’âge de 10 ans, Mathieu était encensé par la critique à Paris, le Montréalais allait pourtant tomber dans l’oubli chez lui. Après avoir insisté sur l’importance de savoir apprécier les siens, le pianiste termine avec une émouvante adapatation pour piano de «Un Canadien errant»
On constate, alors, avec étonnement, que trois heures ont passé comme un battement d’aile!
L’événement 50e d’André Mathieu
Alain Lefèvre avec l’Orchestre de la Francophonie, dirigé par Jean-Philippe Tremblay
Invitées: Diane Dufresne, Catherine Major et Florence K
Animateur: Marc Labrèche
Maison symphonique, 14 juin 2018
Photo: Benoit Rousseau