Après Tout inclus joué à guichets fermés chez Duceppe cet automne et J’aime Hydro, bientôt présenté en «version définitive» dans cette même salle, on peut dire que le théâtre documentaire a la cote. Voici maintenant l’histoire de Maude Laurendeau, mère d’une fillette autiste confrontée aux difficultés d’obtenir de l’aide du système de la santé et aussi de l’éducation. L’autrice et comédienne recrée sur scène ses conversations souvent déroutantes avec diverses intervenantes, toutes incarnées par Julie Le Breton qui est aussi la belle-soeur de Maude et la marraine de cette enfant autiste. Bref, le documentaire se mêle à l’intime.
Une histoire vraie
Après la détection des signes du trouble du spectre de l’autisme (TSA), puis le diagnostic, les spécialistes répètent à Maude qu’il est urgent que Rose (non fictif) soit suivie. Orthophonie, ergothérapie, etc. , les listes d’attente sont longues ! En plus, on perd parfois votre formulaire d’inscription et tout est à recommencer. Si on se tourne vers le privé, mieux vaut avoir un portefeuille très bien garni ! Ajoutons à cela que l’autisme varie d’un individu à l’autre. L’aide doit donc être adaptée en fonction de chaque personne.
Quelle sera la place de Rose dans «la machine», c’est-à-dire : en garderie, dans le milieu scolaire, dans le système de santé ? Le récit est bien documenté, car madame Laurendeau a vite commencé à prendre des notes et se monter un dossier, au fil des rendez-vous accordés à sa fille.
Une quarantaine de personnages…
Psychoéducatrice, travailleuse sociale, etc., Julie Le Breton passe d’un rôle à l’autre avec une admirable aisance. Elle sera aussi une voisine qui lance des insinuations sur la lente évolution de la jeune Rose. Épatante, la comédienne se glissera dans la peau d’une quarantaine de personnages en moins de deux heures ! Elle incarne aussi un jeune homme neuro-atypique qui soutient que l’autisme n’est pas une maladie, mais une différence dont on ne saisit pas toujours la richesse.
La différence
Au-delà de ses combats menés pour Rose dans un véritable labyrinthe bureaucratique, Maude Laurendeau s’inquiète du regard que la société pose sur sa fille. Elle lance un appel au respect de la neuro-diversité et de la différence en général. Qui peut se vanter de n’avoir aucun préjugé ? On assiste d’ailleurs à une conversation entre l’autrice et sa mère révélant que leur famille s’est longtemps moquée de personnes aux prises avec différents handicaps.
Où est le père ?
À quelques jours de la première du spectacle, Julie Le Breton disait en entrevue à Pénélope : « J’ai accompagné Maude et mon frère à travers tout ce processus de doute, de diagnostic, de recherche d’information, de soins…» Du même souffle, madame Le Breton expliquait que ce sont souvent les mères qui s’occupent de leurs enfants autistes, car leurs conjoints restent au travail pour continuer d’apporter la principale part de revenus à leur famille.
Ayant côtoyé plusieurs pères autistes, je sais que ces hommes doivent parfois redoubler d’ardeur pour se concentrer au travail, tout en étant prêt à voler au secours de leur enfant à tout moment. Ils sont soumis à cette pression année après année. Il aurait été intéressant que madame Laurendeau nous parle aussi de ce que vit le père de leur fille atteinte du TSA.
Émotion et information
Si la mise en scène d’Édith Patenaude est sans surprise, le véritable intérêt du spectacle est le texte riche et touchant de Maude Laurendeau ainsi que le tour de force de Julie Le Breton et sa quarantaine de personnages. En plus d’être souvent ému, on apprend beaucoup; notamment, la signification d’acronymes qu’on voit depuis longtemps sans trop savoir : CRDI (Centre de réadaptation en déficience intellectuelle), ICI (intervention comportementale intensive), etc. On se sent interpellé par Rose et la machine, car elle rejoint nos propres luttes face aux systèmes en place quand vient le temps d’aider nos proches malades ou étiquetés comme différents des autres.
Rose et la machine / Texte : Maude Laurendeau
Interprétation : Julie Le Breton et Maude Laurendeau
Mise en scène : Édith Patenaude
Décor : Patrice Charbonneau-Brunelle
Théâtre Jean-Duceppe jusqu’au 18 décembre.
*Crédit photo : Danny Taillon