La pièce Sang, mise en scène par Brigitte Haentjens, à l’Usine C, s’avère un fascinant moment de théâtre d’une intensité extrême ! Ce texte du Suédois Lars Norén est une actualisation de la tragédie d’Oedipe, portée par Christine Beaulieu, Alice Pascual, Sébastien Ricard et Émile Schneider. L’action se déroule dans un espace qui s’apparente à un ring. Le spectateur est tout près des acteurs de cette histoire terrifiante. Sang : théâtre extrême.
Sébastien Ricard et Christine Beaulieu
Crédit photo : Jean-François Hétu
Rosa (Christine Beaulieu) est une journaliste reconnue pour avoir couvert de grands conflits, en divers lieux du globe. Éric (Sébastien Ricard) est un psychanalyste de renom. Ce couple d’anciens militants socialistes chiliens porte des blessures profondes. Tous les deux ont été emprisonnés et séparés de leur fils de sept ans, lors du coup d’État du général Pinochet. Torturés puis exilés en France, ils n’ont jamais retrouvé leur enfant.
Chacun a développé ses façons de survivre à cet immense chagrin. Éric s’étourdit dans une relation extraconjugale avec le jeune Luca incarné par Émile Schneider. Rosa, elle, semble pencher pour le masochisme; le fait d’être brutalisée, atténuerait-il la douleur qui la ronge ? Ricard et Beaulieu sont si investis dans leur rôle qu’ils deviennent ce couple où règne un malaise permanent et inquiétant. La scène de sado-masochisme, jouée tout près du public, est certes dérangeante, mais elle ne s’éternise pas.
«Reality show»
C’est lors d’une entrevue accordée par Rosa à la télé que Luca, impeccable Schneider, découvre la conjointe d’Éric et finit par la rencontrer. Lorsqu’il réalise que cette femme et son amant sont ses parents, il les assassine tous les deux. En entrevue à la télé, le jeune homme dira avoir agi ainsi pour mettre fin à la douleur incommensurable de ses géniteurs.
L’intervieweuse, excellente Alice Pascual, nous arrache quelques rires en communicatrice bien de notre époque qui se montre émue devant cette tragédie, tout en alimentant le voyeurisme d’un public avide de sensationnalisme. Elle demande à Luca si c’est plus grave d’avoir tué sa mère ou son père. Je ne sais pas répond le jeune homme. Sans complaisance, ni souci de l’opinion publique, ce texte ne juge pas ses personnages. Il expose plutôt, de façon percutante, de sombres rouages de la condition humaine.
Une tragédie d’aujourd’hui
Le mythe d’Oedipe est ainsi profondément actualisé. Le fils couche avec ses deux parents et le destin est ici remplacé par la politique (la dictature chilienne). Ce texte est d’autant plus percutant que le Chili connaît, actuellement, une nouvelle crise sociale. De plus, nous sommes dans un contexte de médiatisation de la vie intime, où le meurtrier se raconte en entrevue, comme sa mère l’a fait plus tôt. Il est même question d’un film sur cette effroyable tragédie et le condamné promet de s’assurer que le scénario soit fidèle à la réalité.
Brillant alliage entre mythologie et critique sociale contemporaine, tout est très fort dans ce spectacle, qu’il s’agisse du texte, de la mise en scène, ou du jeu des comédiens. À voir.
Sang
Texte : Lars Norén
Traduction : René Zahnd
Mise en scène : Brigitte Haentjens
Interprétation : Christine Beaulieu, Alice Pascual, Sébastien Ricard, Émile Schneider
Musique : Bernard Falaise
Usine C
Du 28 janvier au 15 février 2020
Supplémentaires les 18 et 19 février
Sur la première photo : Sébastien Ricard et Émile Schneider
Crédit photo : Jean-François Hétu