Avec Tiohtiá:ke, son plus récent roman aux éditions Libre Expression, Michel Jean met fin à ce qu’on pourrait appeler sa trilogie. Avant Kukum, qui raconte l’histoire extraordinaire de son arrière-grand-mère, Almanda Siméon, il y a eu Atuk, elle et nous, où il raconte l’histoire de sa grand-mère Shashuan Pileshish (devenue Jeannette ). Et dans Tiohtià:ke, c’est la réalité des petits-enfants, les conséquences des pensionnats que leurs parents ont vécu et qui ont amené de graves répercussions sur eux.
Résumé : Élie Mestenapeo sort de prison après avoir purgé sa peine pour le meurtre de son père, un homme alcoolique et violent. Sa communauté innue de Nutashkuan l’a banni. Il débarque à Montréal et se retrouve dans la rue. Il y croisera des personnes d’autres nations, Inuit, Cris, Atikamekw, venues comme lui s’échouer dans la métropole, et il fera des rencontres déterminantes, qui l’aideront à se reconstruire. Tiohtiá:ke, c’est aussi la réalité de tous ces Autochtones qui se regroupent dans les villes pour reformer la communauté qu’ils ont perdue. La seule chance de s’en sortir réside parfois dans l’attachement à des valeurs plus grandes que soi.
Dans ce huitième roman, Tiohtiá:ke, qui veut dire «Montréal» en langue mohawk, Michel Jean a imaginé l’histoire d’Élie, en se basant sur un récit qui lui avait été raconté concernant un homme de Pessamit, Raymond Hervieux, à qui ce livre est dédié. Raymond aurait fait de la prison et il a été banni par la suite de Pessamit. N’ayant nulle part où aller, il est devenu itinérant à Montréal, sans jamais retourner à Pessamit. L’auteur innu s’est aussi inspiré de l’itinérance autochtone à Montréal pour nous créer ce très touchant et bouleversant roman.
C’est avec justesse, tendresse et une grande humanité que Michel Jean décrit cette sordide réalité, mais aussi cette force, résilience et entraide qui unit ces personnes de nations différentes, Innus, Inuit, Cris, Atikamekw, devenus itinérants, qui tendent à se regrouper dans leur ville adoptive et reforment une communauté, à leur manière.
On peut voir et ressentir toute la douleur et la colère au plus profond du cœur d’Élie, qui s’accroche à diverses bouées pour survivre. Avec lui, on rencontre plusieurs autres personnages qui, eux aussi, sont hypothéqués dans la vie. Il y a Geronimo, les jumelles Nappatuk, Tracy et Mary, ainsi que Charlie et même Caya qui ne récite que des paroles de chansons. On s’attache rapidement à eux, grâce à la plume sensible et efficace de Michel Jean qui a ce talent de nous mettre dans la peau de ses personnages pour avoir accès à leurs plus profondes réflexions et émotions. Bien qu’on n’ait jamais vécu leur réalité, on peut assez bien l’imaginer et en être touché. J’ai adoré aussi le personnage de Lisbeth qui apporte une fraicheur au roman.
J’aime bien retrouver également dans ce roman, des personnages que j’ai connu dans un autre roman de Michel Jean Le vent en parle encore. Ainsi, on retrouve Jimmy ainsi que l’avocate Audrey Duval qui était au cœur de ce roman basé sur la réalité qu’ont vécu de jeunes Innus, alors qu’ils ont été déracinés et envoyés de force dans des pensionnats indiens pour tenter de les assimiler. À nouveau Jimmy et Audrey vont allier leurs forces ainsi que celles d’Élie pour rendre justice un peu à ceux qui n’ont pas les moyens de se défendre.
Ce roman m’a fait passer par toute une gamme d’émotions. J’ai été très émue et touchée par la résilience de ces gens qui tentent de s’en sortir. J’ai été en colère et même enragé de voir toutes ces injustices commises par des blancs envers ces autochtones. J’ai eu honte de ma communauté. J’ai aussi été éblouie, émerveillée et enchantée par les descriptions sublimes de la nature que Michel Jean sait si bien nous imager. En voici un extrait : «Un vent d’automne balaie la côte. Le ciel et l’eau s’enlacent et se repoussent sans cesse. L’océan jette des torrents sur la plage et les vagues, rageuses, viennent mourir en crépitant au pied d’épinettes aux troncs durs comme l’acier. Deux mondes se toisent et se défient depuis la nuit des temps. »
Au final, je suis reconnaissante envers Michel Jean de nous aider à mieux voir et comprendre la réalité des gens bien différents de nous. C’est en comprenant qu’on peut vaincre le racisme, et l’ignorance qui engendre la peur de la différence. Merci!
Michel Jean est un chef d’antenne, un animateur et un reporter d’enquête primé et apprécié du public québécois. En mars 2017, il a été invité au Salon du livre de Paris, grâce au titre Amun, un recueil de nouvelles dont il a assuré la direction. Innu de Mashteuiatsh, il est l’auteur de huit livres. Il a aussi codirigé le recueil de nouvelles Pourquoi cours-tu comme ça ?. Son ouvrage Le vent en parle encore, paru en 2013, a été unanimement salué par la critique. Kukum, paru au Québec en 2019 et en France en 2020, est lauréat du Prix littéraire France-Québec et finaliste du prix littéraire Jacques Lacarrière.
Date de parution : 27 octobre 2021
Sujet : Littérature québécoise
Nombre de pages : 240 pages
Prix : 24.95 $
Éditions Libre Expression : http://www.editions-libreexpression.com
Voici mon appréciation de son roman précédent KuKum : https://lesartsze.com/kukum-de-michel-jean-sublime-histoire-dun-peuple/