Quelques minutes avant la première de Ulster American, à La Licorne ce mercredi (20 octobre 2021), des spectateurs et spectatrices se demandaient quel était le véritable sujet de cette pièce ? Tentons de répondre à leur question. D’une part, un acteur vedette d’Hollywood (David Boutin), un metteur en scène anglais bien établi (Frédéric Blanchette) et une jeune dramaturge née en Irlande (Lauren Hartley) sont réunis pour la création, à Londres, d’une pièce de théâtre. Le ton monte, notamment, au sujet de l’épineuse question de l’identité irlandaise face au Royaume-Uni. Mais, cela n’est que la toile de fond dans cette histoire où l’auteur David Ireland, né en Irlande du Nord, s’est inventé un alter ego féminin, pour en faire une victime de ses personnages masculins.
Mise en scène et jeu des comédiens
Je n’arrive pas à imaginer qu’un acteur hollywoodien oscarisé puisse ressembler au personnage grossier interprété par David Boutin ! Comment une star américaine en visite à Londres pourrait-elle agir de façon aussi rustre, surtout lors d’une première rencontre professionnelle dont les enjeux sont considérables ? De plus, en voulant démontrer que le comédien tente d’adopter un accent irlandais, on lui met en bouche des prononciations douteuses comme le «pouvwèr» (pouvoir) et des mots qui laissent perplexes comme «pas disable». Précisons que François Archambault, auteur de la célèbre pièce Tu te souviendras de moi, signe ici la toute première version en français de Ulster American.
De son côté, Frédéric Blanchette est crédible et souvent drôle en homme de théâtre imbu de lui-même. Observant le monde avec condescendance, il se moque entre autres de son visiteur américain : «Ce n’est pas un adulte, c’est un acteur!», affirme-t-il, en faisant valoir que bien des comédiens demeurent toujours en quelque sorte des enfants.
Quant à Lauren Hartley, elle entre en scène environ une demi-heure après le début du spectacle et il y a quelque chose d’invraisemblable dans l’évolution de son personnage. Alors qu’elle rencontre pour la première fois cet acteur qu’elle idolâtre depuis son enfance, au bout de quelques minutes, la jeune femme lui parle comme s’ils avaient fait les quatre cents coups ensemble !
En entrevue aux ArtsZé, le metteur en scène Maxime Denommée expliquait que le report de la pièce, à cause de la pandémie, lui avait permis de peaufiner son travail. Reste que sa direction des comédiens soulève des interrogations.
Le bon sexisme
Les complexes questions de politique irlandaise sont assez rapidement évacuées pour arriver à ce qui semble être le coeur de la pièce. Ireland qui a choisi de faire jouer son propre rôle d’auteur par une femme, entend démontrer le «mansplaining» (féminisme de façade) de ses personnages masculins qui se liguent contre l’autrice. Ils veulent qu’elle change son texte pour qu’il reflète la conception qu’a l’acteur de ses ancêtres irlandais catholiques. Mais, les deux hommes de théâtre agiraient-ils autrement s’ils faisaient face à un auteur ?
Nous savons bien que les vedettes aux grands égos, qu’il s’agisse d’hommes ou de femmes, peuvent être impitoyables quand vient le temps d’imposer leurs vues. Parlons en à ceux et celles qui ont travaillé avec Julie Payette et Nathalie Bondil, pour ne nommer que celles-là.
Donc, si l’histoire s’arrêtait là, les personnages masculins de cette pièce ne seraient sans doute pas assez dégoûtants aux yeux du public que Ireland semble courtiser. Après tout, il s’agit de deux hommes blancs et hétérosexuels. Il fallait donc les rendre répugnants, pour s’aligner aux dictats actuels de la bien-pensance.
C’est alors que Ireland invente une polémique abjecte et tirée par les cheveux ! L’acteur et le metteur en scène se retrouvent à nommer la personnalité publique qu’ils choisiraient, s’ils étaient contraints de violer une femme ! L’autrice menace alors de dénoncer l’acteur vedette sur twitter. Elle veut révéler à la planète que ce despote venu d’Hollywood aurait jeté son dévolu sur Lady Diana, si on l’avait obligé à commettre un viol.
Elle n’a plus qu’à appuyer sur «send», comme sur une gâchette et la star sera immolée, sans que personne ne cherche vraiment à comprendre ce qui s’est passé. Elle sait qu’elle le tient; il devra obéir à ses conditions, si non sa carrière sera ruinée. Ce moment de la pièce dépeint remarquablement notre époque de condamnation sans appel sur les réseaux sociaux.
Quelques instants plus tard, l’autrice, furieuse qu’on lui ait confisqué son téléphone, injurie l’acteur en hurlant que son sexe ne doit pas être bien long ! Ces répliques édifiantes sont aussi pimentées de jurons ! La grande subtilité, quoi !
Enfin, la femme attaque les hommes un à un avec la statuette de l’Oscar de l’Américain. Imaginez un instant si on inversait les rôles ! Ses deux victimes ensanglantées gisent au sol. Elle sourit. On éteint les lumières et le public applaudit.
Rappelons que David Ireland a déjà déclaré en entrevue vouloir être «un auteur socialement irresponsable». Il tient parole avec cette pièce haineuse.
Ulster American
Texte : David Ireland / Traduction : François Archambault
Mise en scène : Maxime Denommée
Interprétation : Frédéric Blanchette, David Boutin et Lauren Hartley
Décor : Olivier Landreville
À La Licorne, jusqu’au 13 novembre