Jusqu’où peut-on aller pour défendre ce qu’on croit être la liberté ? C’est la question brûlante d’actualité qui est au coeur du spectacle dont Macha Limonchik joue actuellement le rôle principal, entourée de Paul Ahmarani, Louise Laprade et Rebecca Vachon, au Théâtre du Rideau Vert. Cette pièce de l’auteur américain Lucas Hnath se veut une suite à Une maison de poupée, publiée en 1879, par le Norvégien Henrik Ibsen. On y retrouve le personnage de Nora qui revient au domicile familial, quinze ans après avoir quitté son mari et ses trois enfants, sans donner de nouvelles. Pas besoin d’avoir vu, ni même lu, l’oeuvre d’Ibsen, pour apprécier cette pièce qui jette un regard inattendu sur le féminisme.
Chacun sa vérité
Sur un plateau tournant, où trône la porte de la résidence qu’elle a fuie, Nora se décide enfin à entrer dans cette maison qui fut la sienne. Elle retrouve d’abord son ancienne nourrice, dont Louise Laprade sait exprimer la fragilité et la bienveillance. La dame a beau avoir élevé, avec leur père, les trois enfants de Nora, cette dernière n’est pas venue pour lui dire merci, mais plutôt pour l’implorer de lui rendre un service. Toutefois, on réalisera rapidement que la loyauté de cette fidèle servante n’est pas à vendre.
Quant à la revenante, elle veut qu’on l’aide à convaincre son mari de demander le divorce. Mais, pourquoi est-ce devenu urgent d’officialiser leur séparation? Écrivaine à succès, Nora publie, sous un nom d’emprunt, des livres cherchant à convaincre les femmes de s’émanciper en quittant leurs époux. Or, si on découvre qu’elle est toujours mariée, sa carrière risque d’être compromise.
La rencontre avec celui qui est toujours officiellement son mari, Torvald, sera glaciale! À travers l’expression de son regard et la tension qui traverse son corps, Paul Ahmarani incarne un homme encore aimant, malgré la blessure d’avoir été abandonné. Cela ne l’empêchera pas de se vider le cœur. D’ailleurs, Nora ne le contredit pas, lorsqu’il reproche à madame d’avoir joué le jeu des sentiments pour lui soutirer de l’argent à maintes reprises, durant leurs années de vie commune.
En fait, pourquoi est-elle partie ? Nora vocifère qu’elle avait besoin de trouver sa voix!
Elle prétend que la condescendance de Torvald, l’empêchait de développer ses propres idées.
Puis, on comprend qu’elle n’aime pas que monsieur possède des forces qu’elle-même n’a pas, dont la maîtrise de soi. Elle lui reproche, entre autres, de ne jamais se mettre en colère!
Cette sombre perception de son union l’a même amenée à écrire, dans un de ses livres, qu’elle vit dans la terreur de son mari.
Alors que les pièces féministes sont généralement axées sur des discours accusateurs envers les hommes, Une maison de poupée, 2e partie, déroge à cette règle. Ici, en plus du mari qui exprime sa vérité, la rencontre entre Nora et sa fille est éloquente! Avec aplomb, Rebecca Vachon incarne Emmy qui croit en l’amour et qui n’est pas impressionnée par les publications de sa mère. Pas question de céder à la ruse de cette dernière qui souhaite l’utiliser pour manipuler son père!
Parmi les temps forts de leur joute verbale, il y a le moment où la jeune femme fait remarquer à sa génitrice qu’elle n’a même pas cherché à savoir comment va son enfant, même si elle ne se sont pas vues depuis quinze ans. Ainsi démasquée, Nora encaisse le coup! Macha Limonchik est convaincante dans tous les registres de son personnage. Elle continuera d’ailleurs d’essayer d’obtenir son divorce, même en sachant que cette décision risque de court-circuiter l’avenir de sa fille.
Quant aux deux fils du couple, ils sont simplement évoqués. L’auteur n’a vraisemblablement pas jugé bon de développer ces personnages masculins, dont les points de vue auraient pourtant pu enrichir la pièce.
Bien que complexes, les méandres psychologiques de cette famille brisée demeurent limpides dans la traduction de Maryse Warda. Mais, était-il vraiment nécessaire d’y inclure quelques «Fuck You»? La mise en scène de Marie-France Lambert est efficace, sans être particulièrement originale.
Ce qui retient surtout l’attention dans ce spectacle d’environ 90 minutes sans entracte, c’est le texte qui exprime des points de vue rarement entendus chez les féministes. Macha Limonchik a eu raison de croire en ce projet qu’elle défend avec maestria!
Une maison de poupée, 2e partie
Une pièce de : Lucas Hnath / Traduction : Maryse Warda
Mise en scène : Marie-France Lambert
Avec : Macha Limonchik, Paul Ahmarani, Louise Laprade, Rebecca Vachon
Au Théâtre du Rideau Vert, jusqu’au 25 février
Crédit photo : François Laplante Delagrave