Michel-Marc Bouchard dispose d’un public assez fidèle de mordus de ses thématiques qu’on aura le loisir, cette fois-ci, de peut-être trouver passablement redondantes. C’est encore la question du placard d’un homosexuel non assumé avec le fameux remords de conscience qu’on retrouve dans La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé! Comment peut-on oser, encore aujourd’hui, faire du placard un sujet (certainement pas d’actualité) le moindrement prenant?
Lorsqu’arrive sur scène le personnage de Denis Larouche (Éric Bruneau), second des trois fils de la famille supposément endeuillée de la mort de leur mère (dont le glacial cadavre est laissé sur scène tout ce temps-là), il y a bien près d’une heure que l’invraisemblable s’est installé dans l’esprit des spectateurs en ce soir de première mondiale.
La plupart des spectateurs regimbent de l’inextricable incongruité métaphorique de cette nouvelle création de Michel-Marc Bouchard. Ce personnage de Denis Larouche arrive sur scène avec des révélations à faire: il dévoile qu’à l’âge de dix ans, il avait conduit l’ostracisé faux-pédophile (mais vrai homosexuel) Laurier Gaudreault dans un coin louche derrière l’école pour s’y faire tabasser. Laurier Gaudreault était accusé à tort par le frère aîné de Denis c’est-à-dire Julien Larouche (Patrick Hivon, un bel homo viril dans le placard) de viol sur sa petite soeur Mireille Larouche (Julie Le Breton).
Au fait, cette fausse victime alléguée n’ayant alors que douze ans était une insomniaque quasi somnambule tout à fait voyeuse accédant aux chambres à coucher de son coin de pays pour voir en cachette dormir les gens à leur insu! On imagine que les gens ne verrouillaient pas leur porte et que l’enfant sans peur jouait sur la pointe des pieds à la fée Morgane ou à la cousine illégitime de Morphée s’arrogeant le droit ou le loisir de rentrer chez les gens la nuit pour rêvasser de leur beauté nue ou demi nue en posture sommeil. Sans blague!
On écoute donc Denis Larouche raconter avoir amené Laurier Gaudreault derrière l’école et, lui, le beau gars s’y laisse conduire alors qu’il est sous le coup d’une vindicte populaire au fameux Saguenay Lac-saint-Jean… ce pays de supposés homophobes bornés et de pétasses finies. Pourquoi cette accusation de pédophilie sur Julien Larouche (surtout contre son amant réel Laurier) que le petit Denis surprendra avoir vu être en train de bercer Laurier Gaudreault ce même soir-là (il avait dix ans, dit-il) après qu’on ait battu le faux-pédophile, qu’on l‘ait humilié et aspergé d’urine à volonté dans ce coin de la cour d’école?
Réponse: pour cacher mordicus au monde entier sa propre homosexualité à lui… car le beau Julien a choisi de vivre résolument dans le placard jusqu’à la fin de ses jours puisqu’il épousera sa Chantale insignifiante (Magalie Lépine-Blondeau), une femme assez crédule pour vivre pendant quinze ans sans grande sexualité et accepter le fait que son mari aille naturellement faire chaque soir du gym à Chicoutimi au lieu de la salle d’entraînement d’Alma alors que cette salle doit être située à une bonne centaine de kilomètres de route aller-retour de leur domicile.
Comment et surtout où cette narration nous arrive t-elle, car il nous manque encore deux morceaux du puzzle bouchardien? Dans la salle de thanatopractice actualisée, depuis le début de la pièce sur le fameux plan métaphorique, en salon ou pièce type cuisine-familiale où tout le monde se réunit pour blaguer platement, on s’amuse supposément à régler le sort du monde entier. Beau lieu inspirant pour faire ça. Ce n’est pas tout. La morte a tout légué l’héritage familial au héros éponyme amuï de la pièce Laurier Gaudreault (le plus beau gars du pays!).
La maman a compris très ou trop tard que les affiches qu’elle avait, jadis, demandé à ses enfants de placarder ou poster partout en ville avec l’inscription «Laurier Gaudreault pédophile» avaient été l’injustice suprême, la mesure vengeresse d’une calomnie, un mensonge irréparable de ses enfants Julien et Mireille… de sorte qu’elle a, in extremis, réparé sa méprise en ayant tout légué à Laurier Gaudreault, demeuré des lustres silencieux sans se défendre, tout ce temps-là pour les beaux yeux du lâche Julien, son amant d’un soir (ou à peu près)?
Héros éponyme, on ne verra jamais Laurier qu’en fin de pièce, en habit de motoneige, l’habit hivernal martien des Saguenéens sur fond d’incendie allégué et irrésolu. La prodigieuse fille des Larouche, Mireille, l’extravagante presque déconnectée (pas assez Almodovar) est donc là, revenue comme une obnubilée avec de la suite dans ses idées saugrenues, au local de thanatopractie pour y déloger l’insipide employée Mégane Tremblay (Kim Despastis) afin de faire mieux en terme d’embaumement.
En réalité, Mireille détient la clef du mystère: elle a tu tout ce temps la vérité de la scène d’amour aperçue par elle derrière une porte de garde-robe (ajourée on imagine). Elle relate (encore une narration) trop tardivement ses souvenirs: le beau Laurier tout d’abord en solo puis, après un sifflement à la fenêtre, la montée de son frère Julien. Tout ça est narré, nullement joué…donc les vagues effluves de deux beaux garçons faisant l’amour, ça lui est resté. C’est aussi (dramatiquement parlant) pour ça qu’elle est revenue révéler ce fait de scène d’amour à tous ses frères et à la fameuse Chantal, l’épouse de service éplorée par son propre aveuglement.
Julien Larouche savait tout, bien entendu, et il a tout tu, en lâche qu’il est. La pensée d’ensemble derrière cette oeuvre révèle un mélange de provocation et de satire sociale qui passe plutôt mal par caricature outrancière des personnages auxquels on n’arrive pas à s’attacher. Sur le plan de la progression dramatique, on passe du malheur à un malheur encore plus grand puisque personne ne corrige le tir après s’être affrontés un à un et s’être confrontés en famille à leurs mensonges invraisemblables.
L’humour de téléphoné inintelligent de l’insignifiant frère benjamin chez les Larouche, prénommé Éliot (Mathieu Richard) ne déride à peu près personne dans une salle plongée dans la torpeur d’un univers de demeurés. On aura omis de lui donner un skate board ou une trottinette. Le spectacle d’une soeur magicienne de l’embaumement qui frôle la mythomanie d’une déconnectée de toute réalité est aussi un artifice peu amusant. Tous les personnages sont tous soit de pur(e)s idiot(e)s faisant de l’humour dérisoire pétri tout simplement d’une atterrante stupidité ou encore ce sont des lâches en flagrante contradiction avec eux-mêmes.
L’histoire qu’on relate trop souvent par narration souffre d’ailleurs de contradictions plus inconséquentes qu’illogiques surtout au chapitre de la cohérence entre leurs paroles, leurs gestes et leurs supposées valeurs puisque chacun a tout faux et dissimule sans cesse le vrai pour l’illusoire. Je n’en mentionnerai qu’une seule, la plus criante de toutes: pour comble d’illogisme psychologique d’un caractère peu clownesque aussi central à la pièce, on apprendra plus tard que Julien est, au fond, un chantre de la vérité et de la dénonciation des artificieux! Julien aime dénoncer le lâche peuple québécois, les fausses accusatrices de viol, les Québécois qui ne s’assument pas et se font voler leur pays (pays de somnambules et de calomniateurs?) par les immigrants à qui on donne tout gratis etc.
De vrais québécois pure laine diront donc les cyniques? Je doute que cette pièce soit la mieux conçue en son enchaînement événementiel et surtout en son lieu unique de fausse métaphore cinglante puisqu’on se retrouve en quasi permanence devant un cadavre de génitrice (le père est absent) qui déshérite ses propres enfants pour le mystérieux Laurier Gaudreault absent de la pièce sauf en évocations fugaces de figurant. Il me semble que tout ça ne tient pas la route, que de taire une victime, même au Saguenay Lac-Saint Jean. C’est la question du vraisemblable qui surgit pour nous hanter l’esprit et ne jamais nous quitter.
J’étais allé voir et revoir avec fascination, trois fois plutôt qu’une, le chef-d’oeuvre, de facture classique, intitulé Christine, la reine-garçon. J’ai aussi, comme beaucoup d’entre vous, un net souvenir de la première de la pièce Les Feluettes, de son Chemin des Passes Dangereuses etc. Cette fois-ci, comme on l’écrit de nos jours où la lapidation de l’impolitically incorrect deviendra de mise, c’était un peu nécessaire de divulgâcher ces constructions théâtrales sidérantes sous la plume d’un auteur plus qu’établi portraiturant des personnages disparates qui n’ont vraiment que peu de cohérence.
On se demande ce que Serge Denoncourt pouvait faire d’autre sinon une mise en scène forcément statique, écho d’une thématique figée dans le formol. L’affabulation ou l’histoire par collages reste bancale car non seulement elle ne tient pas la route d’une analyse minutieuse, mais le spectateur est en proie à d’atterrants mystères insolubles même au dit-barème d’une logique comportementale régionale calamiteuse selon laquelle il est fort possible que l’auteur devienne persona non grata ad vitam aeternam au pauvre pays calomnié du Lac Saint-Jean. Sinon, si ce pays est tel, la fresque théâtrale est un pamphlet fatal à je ne sais qui. Il faut compatir avec la distribution entière qui doit jouer le décousu d’une petite société sclérosée de fausseté selon un tel déroulement.
LA NUIT OÙ LAURIER GAUDREAULT S’EST RÉVEILLÉ
Une oeuvre originale de MICHEL MARC BOUCHARD
Mise en scène SERGE DENONCOURT
Du 14 mai au 8 juin 2019
Supplémentaires du 9 au 15 juin
ÉRIC BRUNEAU, KIM DESPATIS, PATRICK HIVON, JULIE LE BRETON,MAGALIE LÉPINE-BLONDEAU, MATHIEU RICHARD
Durée du spectacle
1 h 55, sans entracte