Quatre grandes plaidoiries qui ont marqué l’histoire du Québec revivent au théâtre, grâce aux comédiens Marie-Thérèse Fortin et Paul Doucet. La pièce Verdict se veut un regard sur l’évolution de notre société, où l’on remonte au début des années 1970 avec le procès du docteur Morgentaler pour la légalisation de l’avortement. On résume aussi la bataille judiciaire pour la légalisation du mariage gai, avant de braquer les projecteurs sur l’enquête publique du coroner au sujet de la mort de Joyce Echaquan. Enfin, les spectateurs sont appelés à jouer les jurés dans le procès de Basil Parasiris accusé du meurtre d’un policier à Brossard. Mais, peut-on s’amuser ainsi avec une histoire aussi dramatique ? C’est l’une des nombreuses questions embarrassantes, pour ne pas dire gênantes, que soulève ce spectacle.
La justice mise en scène
On le sait, les avocats ont souvent des façons bien théâtrales de plaider et la transposition de leur plaidoiries au théâtre semble aller de soi, dans cette mise en scène de Michel-Maxime Legault. Il faut dire que leurs envolées oratoires qui ont duré plusieurs heures ont été ramenées à un concentré d’une quinzaine de minutes chacune. Ce long travail de «script-édition» est l’oeuvre de Nathalie Roy et Yves Thériault. En tout temps, le propos est clair. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, on ne s’enlise pas dans un le langage parfois abstrait qui règne dans les Palais de justice.
Avortement
Alors que le droit à l’avortement est actuellement remis en question chez nos voisins du sud, il est intéressant de réentendre les grandes lignes de la plaidoirie de Me Claude-Armand Sheppard, en 1973, lors du procès du médecin montréalais Henry Morgentaler, accusé d’avoir pratiqué des avortements illégaux. De toute évidence, les arguments de Me Sheppard ressemblent à ceux des opposants à l’annulation récente de l’arrêt Roe v. Wade par la Cour suprême des États-Unis. L’histoire se répète et nous incite à la vigilance, car rien n’est jamais acquis définitivement.
Mariage gai
Même si le ton du spectacle est, en général, plutôt sérieux, comme il le serait au tribunal, Marie-Thérèse Fortin arrive à faire rire le public avec son interprétation d’Anne-France Goldwater, avocate reconnue pour son franc parler. Nous sommes alors en 2001 et la dame est en train de faire sa marque dans la cause de Michael Hendricks et René Leboeuf en faveur du droit au mariage entre personnes de même sexe. On a là un agréable moment de théâtre, à la fois bien documenté et drôle et ça permet de mesurer le chemin parcouru, en ce qui a trait à la diversité sexuelle.
«Racisme systémique»
Paul Doucet est convaincant en Jean-François Arteau, avocat du Conseil de la Nation Atikamekw, lors de l’enquête publique du coroner sur la mort de Joyce Echaquan, survenue à l’hôpital de Joliette en septembre 2020. Avant de s’éteindre, la femme de 37 ans avait réussi à enregistrer une infirmière et une préposée aux bénéficiaires qui tenaient des propos dégradants à son endroit.
Même si cette triste histoire a soulevé l’indignation générale, il me semble injuste que Verdict ne donne pas aussi la parole à l’infirmière impliquée, Paule Rocray. Cette dernière s’est pourtant expliquée devant le Conseil de discipline de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec. Madame Rocray a reconnu avoir insulté Joyce Echaquan, mais s’est défendue d’être raciste. «Je n’ai pas choisi de me fâcher après elle parce qu’elle est attikamek. Ce matin-là, je me serais fâchée après n’importe qui», a-t-elle affirmé, en ajoutant que cette dérive était liée au stress et à ses conditions de travail en lien avec la pandémie de COVID-19.
Des arguments balayés du revers de la main par Me Arteau qui conclut au racisme systémique en déclarant : «Si elle s’était appelée Jocelyne Tremblay, elle serait encore vivante aujourd’hui… mais elle s’appelait Joyce Echaquan.» Voilà un raccourci qui laisse entendre que les Québécois de souche sont systématiquement mieux soignés que les autres au Québec. Pourtant, rien n’est moins sûr, comme on peut le constater en parcourant le registre des erreurs médicales tenu dans la Belle Province.
En ne retenant que le point de vue de l’avocat du Conseil de la Nation Atikamekw, Verdict semble condamner le gouvernement du Québec qui ne reconnait pas le racisme systémique. Même si les effets de toge se transposent bien au théâtre, cela ne donne pas aux artistes le droit de se comporter comme des juges.
«Le procès de la police»
Après l’entracte, on plonge dans le procès de Basil Parasiris, accusé du meurtre au premier degré d’un policier, en 2007, à Brossard. On ne précise pas que ce drame est survenu lors d’une’opération policière qui visait le démantèlement d’un réseau de trafiquants de drogue, comme si c’était un détail sans importance dans cette histoire. Puis, on s’intéresse au meurtre, en montrant du doigt le travail des policiers qui sont débarqués chez l’accusé en pleine nuit.
Dans pareilles circonstances, il ne faut pas se surprendre que Parasiris ait eu recours à l’une des quatre armes chargées qu’il avait sous la main, estime Me Jacques Larochelle, incarné par Doucet. Les agents ont surpris l’homme, sa femme et ses enfants durant leur sommeil, alors que l’intervention aurait pu avoir lieu durant le jour, fait valoir l’avocat qui plaide la légitime défense de Parasiris. De son côté, Me Joëlle Saint-Germain (Marie-Thérèse Fortin) plaide pour la couronne dans ce dossier et elle reproche à son collègue Larochelle de faire ainsi le procès de la police.
Jouer au jury
Puis, comme s’il s’agissait d’un jeu, on demande aux spectateurs de se transformer en jurés. On a 60 secondes pour décider si le tireur est coupable de meurtre ou non. Le décompte est commencé ! Ça rigole dans la salle ! Puis, on vote ensuite à main levée et les comédiens déclarent Parasiris acquitté ! Imaginez un instant que vous êtes un membre de la famille du policier Daniel Tessier abattu par Parasiris ! Apprécieriez-vous qu’on s’amuse ainsi en refaisant le procès qui a entraîné la mort d’un de vos proches ? Malaise !
Les soeurs Luce et Lucie Rozon, productrices de Verdict, ont trouvé un bon filon. Les grands procès intéressent le public, en plus de bien se prêter au théâtre et la liste des affaires judiciaires qui ont marqué le Québec est longue. On pense, entre autres, à la cause de l’avocate Claire Lortie, acquittée du meurtre de son ami; au docteur Guy Turcotte, trouvé coupable du meurtre de ses deux enfants, après un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, lors d’un premier procès, etc.
Bref, on pourrait facilement créer un Verdict 2, mais il faudrait aussi se soucier davantage des nuances, surtout lorsque des drames humains sont en cause. Le théâtre peut être passionnant sans jouer à fond la carte du divertissement.
Verdict
Avec : Marie-Thérèse Fortin et Paul Doucet
Mise en scène : Michel-Maxime Legault / Adaptation : Nathalie Roy et Yves Thériault
Présenté au Gesù du 9 au 12 novembre, ainsi qu’en tournée au Québec