L’Opéra de Montréal peut se vanter de présenter, pour la première fois au Canada, Written on skin, considéré comme l’un des meilleurs opéras du XXI siècle. La musique rappelle parfois Britten, ou Stravinski, mais le compositeur George Benjamin a si bien intégré ces influences, que son univers sonore lui est propre. Quant aux chanteurs, plusieurs ont des voix phénoménales. De plus, l’habile mise en scène permet à cette oeuvre intimiste d’habiter la vaste scène de la Salle Wilfrid-Pelletier.
La musique
La musique complexe de Written on skin est au service d’une histoire fort simple, inspirée d’une légende du XIIe siècle. Essentiellement, le livret de Martin Crimp raconte les déboires d’un riche propriétaire terrien, le «Protecteur», qui commande un livre d’images à sa gloire. Pour ce faire, il invite chez lui, un artiste : le «Garçon». L’ouvrage doit immortaliser l’exercice de son pouvoir, ainsi que l’obéissance de sa femme, Agnès. Mais, voilà que cette dernière talonne à son tour l’artiste pour qu’il la représente comme elle l’entend. Elle développe avec lui une relation sentimentale qui, bien sûr, tournera au drame.
Les voix
Le baryton-basse Daniel Okulitch s’impose à tous les niveaux dans cette production. Sa voix puissante demeure partout d’une grande beauté, malgré les travers de son personnage. Grand homme élancé, il est très convaincant en «Protecteur» dominateur. Le contre-ténor, Luigi Schifano, a lui aussi une voix souple et très étendue. Il se glisse avec doigté dans son double personnage d’ange et d’enlumineur. Quant à la soprano, Magali Simard-Galdès, sa voix est agréable et elle joue correctement, mais, en général, sans atteindre le niveau d’intensité de ses collègues précités.
La mise en scène
Comment le metteur en scène Alain Gauthier et le décorateur Olivier Landreville racontent-ils visuellement cette histoire d’origine médiévale, peuplée d’anges ? Des tourelles mobiles évoquant un univers en ruine, ainsi qu’une imposante table sont déplacées, peut-être un peu trop souvent, par des anges omniprésents. Quant à l’arrière-scène, il s’y dessine une fissure qui grandit, à mesure que le couple d’Agnès et du Protecteur se brise. Bref, il y a toujours du mouvement, même si l’action se déroule lentement.
L’acoustique
Malgré les doutes qu’on a pu entretenir, cette partition dense, interprétée par l’Orchestre symphonique de Montréal, circule bien dans les conditions acoustiques de la Salle Wilfrid-Pelletier. Nicole Paiement dirige musiciens et chanteurs avec un aplomb tel, qu’on a presque l’impression que cette musique est simple. Pourtant, la cheffe a expliqué en entrevue aux Artsze qu’à un certain moment il y a plus de vingt lignes à jouer simultanément pour les violons. On entend même assez clairement les frottements de pierres, qui symbolisent le couteau et la fourchette durant la scène où Agnès mange le coeur de son amant. Parmi les autres instruments rarement entendus à l’opéra, on a droit ici à l’armonica de verre et la viole de gambe.
Les costumes
C’est aussi la toute première fois que Philippe Dubuc conçoit des costumes pour un opéra. Le designer signe ici des tenues chic qu’on pourrait sans doute qualifier d’intemporelles. Presque tout est noir, à l’exception du spectaculaire manteau du «Protecteur».
Le pour et le contre
En résumé, la richesse de la musique de Benjamin, mise en valeur par la cheffe Paiement et des chanteurs de haut niveau sont les principaux atouts de ce spectacle de 90 minutes sans entracte. Même s’il s’agit d’une histoire sombre et accusatrice à l’issue fort prévisible, la mise en scène souvent ingénieuse et les décors amovibles apportent un dynamisme qui contribue à faire de cette première canadienne, une réussite.
Written on skin
Musique : George Benjamin
Livret : Martin Crimp
Avec : Magali Simard-Galdès (soprano), Daniel Okulitch (baryton-basse), Luigi Schifano (contre-ténor), ainsi que Florence Bourget (mezzo-soprano) et Jean-Michel Richer (ténor)
Cheffe d’orchestre : Nicole Paiement
Metteur en scène : Alain Gauthier
Costumes : Philippe Dubuc
Décors : Olivier Landreville
Langue : en anglais avec surtitres en français
Durée : 1h 30 sans entracte
Salle Wilfrid-Pelletier
25, 28, 30 janvier à 19h30 et le 2 février à 14h