Un spectacle inusité est présenté à l’Agora de la danse, cette semaine. Il s’agit de l’aboutissement d’un projet de la Montréalaise, Mélanie Demers, qui a offert sa pièce Cantique à trois femmes chorégraphes sur autant de continents, en leur demandant de la transformer à leur guise, un peu comme on le fait parfois au théâtre. Les seuls paramètres à respecter : un temps de création limité, la même durée pour les nouveaux duos que pour l’oeuvre initiale et travailler avec les deux mêmes interprètes-muses : Riley Sims et Francis Ducharme. Le résultat est un spectacle d’une durée de 2 h 30 avec ses hauts et ses bas.
Danse mutante commence avec la version originelle, celle de Demers. Les deux danseurs en sous-vêtements blancs, portant des espadrilles blanches s’amènent sur un plateau au dessus duquel sont suspendus des micros, au bout de fils de différentes longueurs. Le son est morcelé, mais on croit entendre certains mots en anglais («I’m a nigger») et en français («Je suis une suis femme fatale»). La communication semble se rompre entre les deux interprètes, l’un tournant le dos à l’autre. Les danseurs, qui se sont maquillé grossièrement sur scène, semblent aussi crier leur douleur («J’ai faim; j’ai froid»), le tout avec une certaine économie de gestes, par rapport à ce qui va suivre.
Quand la chorégraphe fait son show…
On passe ensuite à la relecture de Ann Liv Young, une chorégraphe considérée comme «une des figures les plus radicales de la scène new-yorkaise». Cette dernière commence par invectiver les danseurs depuis son siège de spectatrice, puis elle descend sur le plateau en leur ordonnant de reprendre telle ou telle séquence et en menaçant de le faire aussi longtemps qu’il le faudra pour arriver au résultat souhaité. Il y a, entre autres, une scène de viol, pour laquelle elle exige plus de violence. Ce passage est d’autant plus troublant que l’un des personnages est malentendant et muet. Ann Liv Young multiplie ses remarques aux danseurs et martèle : «It doesn’t work!» Le temps avance et Mélanie Demers intervient à son tour, demandant à sa collègue étasunienne d’aboutir. Le ton monte sur scène. Embarrassant, voire agressant !
Un marathon de danse sur trois continents
Le tableau suivant est apaisant, voire mystérieux, avec ses lampions encerclant la scène. Kettly Noël, artiste d’origine haïtienne qui vit maintenant en Afrique, installe les danseurs assis par terre, sur des tissus colorés, écoutant la musique d’une radio transistor. Sommes-nous dans un désert ? L’un des interprètes brosse les cheveux de l’autre, puis lui met du vernis sur les ongles. Progressivement, leurs mouvements deviennent danse impliquant leurs ombres. Sims semble incarner l’homme blanc, touriste sexuel.
La dernière mutation offre sans doute les plus belles images de la soirée. L’Européenne, Ann Van den Broek, basée à Rotterdam et Anvers, place les interprètes devant deux micros sur pied et un système de pédales qu’ils actionneront eux-mêmes pour composer leur environnement sonore. Vêtus, cette fois, de pantalons et chemises noirs, ils chantent «Everybody’s weird» du groupe rock belge dEUS, avec leur gestuelles synchronisées en demi-cercles. C’est avec cette scène très ordonnée que se conclut l’ambitieux voyage.
C’est donc une rare occasion de voir une chorégraphie ainsi réinterprétée par des artistes de trois continents. Quiconque s’intéresse à la danse a jusqu’à samedi soir pour admirer le travail colossal accompli par Francis Ducharme et Riley Sims qui demeurent tous les deux sur scène durant même durant l’entracte.
Danse mutante
Avec : Francis Ducharme, Riley Sims