Les Voisins est un classique, un spectacle passé à l’histoire, un chef d’œuvre. C’est en ces termes que démarre la discussion avec André Robitaille, fier metteur en scène de la nouvelle mouture des Voisins.
Après avoir connu un succès retentissant depuis l’été dernier, Bernard, Georges et les autres s’en viennent discuter de rien et de pas grand-chose au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts, dès le 23 janvier. Respect, rythme, écoute et drame aussi ont dicté le travail du metteur en scène, de l’homme et du fan des auteurs, Louis Saïa et Claude Meunier.
Charleyne Bachraty : Vous avez repris la pièce – entre autres – parce qu’elle a fêté son 40e anniversaire. Mais au-delà de l’aspect commémoratif, est-ce qu’un brin de nostalgie, une volonté de remettre de l’avant des thématiques qui raisonnent aujourd’hui – les propos machistes, une surconsommation à outrance – ont dicté votre choix?
André Robitaille : Pour moi, Les Voisins, c’est un classique important, en humour, mais en théâtre en général. C’est un objet qui fait histoire, qui a traversé 40 ans et dans 40 ans, quelque d’autre va le monter. Pour moi – et je choisis mes mots – c’est un chef-d’œuvre, c’est vraiment écrit à la virgule, c’est vraiment réussi. Vous m’entendez déjà vous dire que j’ai mis le texte au premier plan, je voulais travailler sur les mots, sur les virgules. S’il y a un « là », s’il y a un « moi », je voulais à tout prix qu’on l’entende. Alors, j’ai des actrices et des acteurs qui sont des virtuoses, donc qui ont réussi à s’approprier ce texte et ces mots-là. C’est une syntaxe très particulière, ce sont des rythmes très particuliers qu’il faut trouver : quand est-ce qu’il y a des silences, des regards ? On travaille vraiment fort sur le détail et cela donne quelque chose de très riche. Mais ça prend une troupe aussi forte, autant les personnes sur scène qu’à la conception et tout ça, pour y arriver.
CB : Justement, depuis que cette version de la pièce est à l’affiche, on louange la distribution, le texte… Vous partiez avec une base solide. Quel a été le défi pour vous en tant que metteur en scène?
AR : Je veux garder une homogénéité, une cohérence et la vérité. Alors le défi, c’est beaucoup ça. Ça se passe dans le rythme, ça se passe dans le niveau de jeu. Quand tu as huit acteurs forts ou actrices fortes, il faut que tu les mettes au même niveau, ce ne sont pas des solos, c’est un orchestre. Ça doit sonner la même musique. Ça a l’air d’un détail, mais j’ai fait un gros travail de direction d’acteurs, ça a été ça mon défi. On a travaillé fort sur le détail come je vous disais. Mon défi, comme un chef d’orchestre, c’est d’avoir le même orchestre, le même son. Et également conserver la vérité de ces relations-là. Le danger avec ce show, c’est de le forcer, de le grossir, mais il ne faut pas, il faut trouver la limite d’où est-ce qu’on peut aller pour pousser le personnage, pousser le rapport, s’amuser avec la maladresse qu’il y a dans le texte, mais dans une vérité, si ce n’est pas vrai, on l’échappe. Alors ma job, vous avez raison, il y a quelque chose de facile dans « maudit bon texte et bonne troupe », mais ce qui peut paraitre facile, c’est ça le danger : trop de forces, pis un texte que l’on grossit trop parce qu’on l’aime trop. Il faut le ramener à la vérité.
CB : Pour beaucoup, le texte des Voisins, c’est un texte sur le vide, mais vous dites plutôt que c’est un « texte sur le plein ». Donc, la rythmique est très importante pour le public, afin qu’il ne sente pas les vides, les silences, les malaises…
AR : Tout-à-fait, et le silence fait partie de la musique, du rythme. Ce n’est pas un trou, c’est une marche qui fait monter l’escalier encore plus vite. C’est une étape, mais pas un vide. Et je pense que l’on réussit, car avec l’équipe, on touche à ce que l’on est en train de décrire. Je suis assez directif, donc tout le monde sait où on s’en va. C’est clair… je suis clair (rires)! Je ne veux pas paraitre prétentieux, mais si je suis nébuleux, personne ne sait où on s’en va. La loi, c’est la préparation, et je me suis beaucoup préparé, je connais ce texte à la virgule depuis longtemps, car j’ai eu la chance de le jouer deux fois (il a déjà tenu les rôles de Junior et Fernand, NDLR), mais bref… J’écoute et je me prépare – c’est ma loi – et pis, j’ai une équipe extraordinaire.
CB : En parlant d’équipe et de distribution, est-ce que des choix ont été automatiques ? Est-ce que certains ou certaines ont pu hésiter ou bien est-ce tous et toutes ont dit oui sans hésiter ?
AR : J’avais mon idée. Le casting que vous avez là, c’est l’idée que j’avais, donc je touche du bois, j’ai été chanceux. Cela faisait longtemps que je voulais travailler avec Guy Jodoin, qui est un ami depuis toujours. Donc je l’ai rapidement contacté pour savoir s’il embarquait. Mon défi avec cette troupe-là – vous pouvez tous les nommer – c’est l’agenda. Alors, quand j’appelais, je me croisais les doigts, pas sur « le texte va-t-il l’intéresser ? », mais sur l’agenda. Donc, quand l’agenda disait oui, et je produis ce show avec mon associé, j’ai pu manœuvrer l’agenda, pour que ça marche avec cette troupe-là.
CB : Maintenant, je m’intéresse à vous. Pour vos mises en scène, vous vous intéressez beaucoup au registre comique. Est-ce vous aimeriez aller toucher un autre registre ?
AR : J’aimerais ça, il faudrait que je le provoque en fait. Avec ma compagnie (Monarque Productions, NDLR), on a décidé d’être dans un marché d’humour, mais un jour, on pourrait bifurquer sur autre chose. Par contre, ce n’est pas parce que c’est drôle, que l’on ne peut pas aller dans le tragique. Quand Bernard fait sa crise par rapport à sa haie, on le fait dans la tragédie pour vrai, dans la vérité. S’il y a des larmes, il y aura des larmes. J’ai même mis un cue musical pour soutenir la tragédie, ce qui est encore plus comique. Cette dichotomie enrichit le comique ou la tragédie. Même chose pour sa crise cardiaque, pour laquelle il y aura un soutien sonore tragique, alors que tout le monde dit des bêtises autour, sur la crise cardiaque. J’aime ça, j’aime ces affaires-là. Je ne suis pas en manque de drame, car je le construis sur des choses fines.
CB : Dans la dernière de votre émission La Revue culturelle de 2019, vous parliez de création. Aimeriez-vous être dans la création ? Mettre en scène quelque chose que vous auriez écrit ? Et de jouer dedans ?
AR : J’ai de la misère à jouer et faire la mise en scène. Les deux ne sont pas bons, je néglige les deux. J’ai dirigé un show dans lequel je jouais, et j’étais à côté de mes pompes. Donc, j’ai mis une croix là-dessus. J’interviens pas mal quand je joue, mais je laisse le metteur en scène avec son projet. Je suis un gars à idées, mais je sais prendre ma place quand je ne suis qu’un acteur. J’aurais le fantasme de jouer, juste jouer… pour ce qui est de l’écriture, ça, ça m’attire. Mais je suis un bon lecteur, script-éditeur, je peux travailler un texte, l’affiner, ajouter des blagues, mais je n’ai jamais écrit à partir d’une page blanche. J’ai écrit à quatre mains, mais jamais seul. Faudrait que je le fasse… je dirige beaucoup de créations, mais dans l’ordre du lecteur. Faudrait que je me lance. Des fois, je me dis « ça, j’aurais dû l’écrire… », mais devant Les Voisins, tu ne touches à rien. J’ai changé une phrase et j’ai appelé tout de suite Claude (Meunier, NDLR) pour lui dire.
CB : Vous avez joué dans Les Voisins, vous l’avez mise en scène. Si vous deviez rejouer dans cette pièce, quel personnage seriez-vous ?
AR : Si j’avais l’âge – et je ne peux pas – ce serait Junior, mais je jouerais aussi volontiers Bernard, à cause de tout ce que l’on vient de se dire – au moins, je suis cohérent ! Georges m’attire aussi, là, je suis dans les hommes, mais je jouerais Jeanine aussi. Mais toujours, la tragédie dans le comique, la vérité. Guy le joue très vrai. Et ça pour moi, c’est un exercice d’acteur : s’inscrire dans un show aussi comique, mais dans cette vérité-là.
Les Voisins sera présenté du 23 au 25 janvier 2020 et du 15 au 16 janvier 2021, au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts.
Une comédie de : Louis Saia et Claude Meunier
Mise en scène : André Robitaille
Mettant en vedette : Guy Jodoin, Marie-Chantal Perron, Jean-Michel Anctil, Brigitte Lafleur, Rémi-Pierre Paquin, Marilyse Bourke, Pier-Luc Funk et Catherine Brunet.