D’emblée, Roger Sinha me convie à une petite démo de didgeridoo. Cet instrument à vent provenant de la culture aborigène a la place belle dans sa nouvelle création D’os et d’écorce.
À constater le plaisir qu’il prend à jouer – aussi bien dans le sens musical que ludique – on ne peut que comprendre ce qui le fait vibrer : ce son grave, qui vient vous chercher au plus profond de vos entrailles. Il aime cela, Roger Sinha, le son ou plutôt les sons. Il aime les transformer et les amener ailleurs. Beat techno, voix, musique… une inspiration qui prend naissance dans le mélange.
Mélange de styles, mélange d’arts : voilà la marque de fabrique du chorégraphe. Alliant habilement la danse indienne et contemporaine, il véhicule depuis 30 ans ses réflexions sur des sujets personnels ou universels. Le didgeridoo – encore lui – faisait déjà partie de son solo de 2008, Zeros & Ones : « À cette époque, je ne le maîtrisais pas totalement, c’était plus de l’expérimentation. J’ai travaillé longtemps pour le maîtriser, pour faire de l’improvisation », me confie M. Sinha. Sa maîtrise aujourd’hui acquise de l’instrument, lui permet d’insérer dans D’os et d’écorce, des moments d’improvisation musicale, qu’il affectionne particulièrement.
S’il qualifie le didgeridoo « d’amplification » de sa personnalité, il considère également que les danseuses et danseurs de sa troupe sont une extension de lui-même. Pour cette nouvelle offrande, il cherche la performance. Moult détails ont pour fonction de capter le public, mais tout doit rester cohérent. Pour le chorégraphe, le public prendra ce qui lui est proposé… ou pas, et fixera son attention sur un élément… ou plusieurs.
Il ne manque pas de rappeler l’importance de trouver sa place dans la communauté : « Cette pièce traite des relations contrariées qu’ont les Humains entre eux, de la société, mais aussi de l’individu lorsqu’il est out of the normes, ce que sont les artistes d’une certaine façon. It’s the story of life, in the poetic way! ». Entre solos et mouvements de groupes, ses artistes sont livrés à eux-mêmes ou tentent de trouver leur place dans l’osmose du groupe. Au-delà de la métaphore d’être compris par la société, Roger Sinha a voulu les mettre au défi. Que ce soit en évoluant sur des rythmes imposés par l’instrument, ou en utilisant leurs voix, les danseuses et danseurs doivent faire preuve d’une grande ouverture, de sensibilité et d’adaptation.
Par le passé, le créateur d’origine indienne a pu évoquer des expériences personnelles, voire traumatisantes, liées au racisme (Burning Skin, 2017) ou à l’intimidation (Tope là, tope ci, Wifi Takka Takka Dhim, 2014). Pour D’os et d’écorce, il change de registre et prend plaisir à explorer de nouvelles avenues, grâce à son instrument notamment.: « J’ai découvert la danse à 22 ans grâce à Chorus Line et All that Jazz. Je savais que je voulais faire cela. Cela dit, j’étais heureux, mais pas comblé. J’ai trouvé une liberté dans la création et pour moi, c’est plus satisfaisant ».
Après toutes ces années de carrière, que pense-t-il de son art ? De son avenir ? : « Après 30 ans de créations qui mélangent les styles indien et contemporain, it’s time to move on. Je veux me rendre encore plus loin dans l’exploration, notamment avec la voix comme instrument ».
Roger Sinha m’explique la genèse de son prochain projet : « Au début, je voulais intégrer du chant de gorge dans ce spectacle, mais il n’y a pas de lien avec la culture inuite, donc cela aurait été étrange. J’ai préféré utiliser uniquement certaines sonorités. » Dans un futur proche, il compte bien exploiter davantage le chant de gorge. Il aimerait aussi beaucoup participer au concours Didg to didg en France ! Bref, ce ne sont pas les envies qui manquent.
Parce que Roger Sinha veut encore profiter de cette liberté, bouleverser les codes et faire des choses que personne n’a encore faites. Que l’inspiration le guide pour les 30 prochaines années.
D’os et d’écorce est présenté à l’Agora de la danse, du 22 au 25 janvier.
Crédit photo : Sinha Danse